jeudi 9 mars 2017

CHRONIQUE D'UN DÉSAVEU POLITIQUE ANNONCÉ


[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

  BERTRAND DELANOË
ILLUSTRATION PETER ARKLE

Lorsque les socialistes quittent le PS pour rallier la candidature de Macron, ils soutiennent un projet de droite, au prétexte qu'il est le seul à pouvoir vaincre le FN. Ce n’est pas seulement le libéralisme qui triomphe, c’est Marine Le Pen elle-même.
  BERTRAND DELANOË
Bertrand Delanoë ce mercredi matin sur France Inter, alors qu’un auditeur lui exprime sa déception après l’annonce de son ralliement à Emmanuel Macron : «Je comprends qu’il puisse y avoir un malaise.» Non monsieur, ce n’est pas un malaise. C’est du dégoût.

À la vue de ces «socialistes», à qui l’on a fait confiance tant de fois, fuyant lâchement vers celui qui leur promet une victoire possible, quoique très hypothétique, j’éprouve le même dégoût que face à François Fillon dimanche haranguant la foule de la manif pour tous sous la pluie du Trocadéro.

Lâcheté d’un côté, obstination de l’autre, partout le même aveuglement, partout le sentiment d’assister à une tragédie trop vite écrite.

En entendant Bertrand Delanoë ce matin, j’ai pensé : Marine Le Pen a déjà gagné. Cessons d’en faire une menace comme les adolescents se font peur en regardant des films d’horreur. Ça n’est plus une menace, c’est le réel qui est le nôtre, chaque jour un peu plus.

Elle a gagné car le discours qu’elle porte a contaminé l’ensemble de la vie politique française. Elle a gagné car le seul candidat dont on nous assure aujourd’hui qu’il pourrait la battre nous explique que la gauche et la droite ne valent plus rien, qu’il faut «enjamber» les partis.

Lorsque les socialistes quittent le PS pour rejoindre En Marche, ils soutiennent un projet de droite (qui ne dit pas tout à fait son nom), au prétexte qu’il est le seul à pouvoir vaincre le FN. Ce n’est pas seulement le libéralisme qui triomphe, c’est Marine Le Pen elle-même, qui est donc à l’origine de tout ce qui se passe dans cette campagne.

Si l’on prend dès aujourd’hui conscience de ce triomphe, il n’y a qu’une chose à faire: résister. Personne n’a jamais résisté en fuyant, en faisant preuve de lâcheté, en décidant de suivre celui qui peut gagner pour la seule raison qu’il puisse gagner. On ne peut résister qu’en acceptant d’être en minorité, qu’en renforçant ses convictions les plus profondes qu’en forçant le trait, au lieu de le gommer.

Messieurs les socialistes, vous qui rejoignez Emmanuel Macron et vous qui allez le rejoindre, vous gommez toutes les convictions de gauche que votre parti, que notre pays, ont mis des siècles à fonder, vous reniez la justice sociale, le sens de la loyauté. Vous bradez la fidélité sur l’autel de la majorité. Si les temps n’étaient pas si graves, je dirais que c’est un crime électoral : vous salissez nos votes. Pourtant, je voterai PS en avril, je soutiendrai celui qui a encore le courage de se dire socialiste, et qui ne compte pas seulement sur notre peur de Le Pen pour être élu. Au premier tour en tout cas, je refuse de voter en tremblant pour le candidat en tête des sondages.

Non Monsieur Delanoë, ce n’est pas un malaise, c’est du dégoût de celui d’où naît parfois la résistance.