samedi 30 avril 2016

ZIKA: ALERTE SANITAIRE AU CHILI

Jusqu'à présent, le Chili était, au côté du Canada, le seul pays du continent américain à être préservé de l'Aedes aegypti qui transmet le Zika, un virus accusé de provoquer la microcéphalie - développement insuffisant du crâne et du cerveau - chez les foetus. Le moustique a été décelé la semaine dernière à Arica, ville de 160.000 habitants située à 2.000 kilomètres au nord de Santiago. L'alerte sanitaire permettra au gouvernement d'allouer des moyens économiques et de mobiliser l'armée pour contrôler la maladie et éviter l'épidémie.

« Il n'y a aucune suspicion de contagion humaine, ni présence de larves ou de moustiques dans les autres régions en dehors de celles d'Arica et de Parinacota», a assuré la ministre de la Santé Carmen Castillo. Arica est une ville frontalière avec le Pérou et la Bolivie et un port important. Depuis près de 60 ans, le seul endroit du territoire chilien avec une présence habituelle du moustique était l'île de Pâques, dans l'océan Pacifique et à quelque 3.500 kilomètres du continent. Il y a causé des milliers de cas de dengue et de Zika.

La maladie frappe surtout l'Amérique du sud, en particulier le Brésil où plus de 1,5 million de cas ont été dénombrés depuis le début de l'épidémie l'an dernier. 

EL DERECHO DE VIVIR EN PAZ



ジンタらムータ with リクルマイ - 平和に生きる権利

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( ジンタらムータ with リクルマイ - 平和に生きる権利 ) JINTA ET AL MUTA AVEC RIKURUMAI
LE DROIT DE VIVRE EN PAIX. CHANSON ÉCRITE ET COMPOSÉ PAR VICTOR JARA, 
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不屈の民 / ジンタらムータ




vendredi 29 avril 2016

L’INDE REJETTE LE RECOURS CONTRE L’EXTRADITION D’UNE FRANÇAISE AU CHILI

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MARIE EMMANUELLE VERHOEVEN. LA PRESSE
CHILIENNE EN A FAIT UNE «COMMANDANTE»
Afin d’éviter son transfèrement vers le Chili, ses avocats faisaient valoir que le traité d’extradition entre les deux pays n’était pas valable. Ce dernier, qui date de 1897, a été conclu au moment où l’Inde était toujours une colonie britannique et il n’a pas été officiellement ratifié après la partition du pays, en 1947. Argument rejeté par la Cour suprême.

Une des conseils de la Française, Ramni Taneja, a déclaré à l’Agence France-Presse que cette décision était un « gros coup » pour sa cliente. « Cela signifie que la procédure d’extradition va pouvoir suivre son cours. C’est dévastateur pour elle. 

Appel à la communauté internationale

Dans un communiqué, Mme Taneja et sa collaboratrice, Clémence Witt, se disent «profondément choquées » que l’Inde ait pu donner suite à une demande « dont le caractère politique ne fait aucun doute et qui est dépourvue de tout fondement juridique ». Elles font par ailleurs part de leurs inquiétudes quant au maintien en prison de Marie-Emmanuelle Verhoeven.

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«Dès le 21 septembre 2015, la Haute Cour de justice de New Delhi avait jugé que son placement en détention provisoire était illégal », insistent-elles, avant d’appeler « la communauté internationale à se mobiliser ». La Cour suprême du pays avait déjà rejeté en novembre une demande de liberté provisoire.

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JAIME GUZMÁN ÉTAIT SÉNATEUR UDI 
ÉLU AVEC UNE TRÈS FAIBLE VOTATION
Le sénateur Jaime Guzman Errazuriz, également professeur de droit, avait été abattu par des membres du groupe d’extrême gauche, le Frente Patriotico Manuel Rodriguez (FPMR – «Front patriotique Manuel Rodriguez »), alors qu’il sortait de l’Université catholique du Chili. Il était considéré comme un des principaux idéologues de la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Marie-Emmanuelle Verhoeven, surnommée «Comandante Ana», est soupçonnée d’être la sixième tête du FPMR, que le juge chargé de l’affaire Guzman considère aujourd’hui comme le cerveau de l’assassinat.

Elle avait déjà été arrêtée en janvier 2014 à l’aéroport de Hambourg, en Allemagne, à la demande de la justice chilienne, puis libérée en juin 2014.

mercredi 27 avril 2016

BERLIN VA OUVRIR SES ARCHIVES SUR LA SINISTRE COLONIA DIGNIDAD AU CHILI


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PRÉCÉDEMMENT « UN ÉTAT DANS UN ÉTAT, » 
COLONIA DIGNIDAD MAINTENANT « APPARTIENT AU CHILI ». 
PHOTO THE SANTIAGO TIMES

Il a rappelé que ce délai de protection était de 30 ans
et que les archives datant d'avant 1985 étaient déjà consultables.

Quelques 120 anciens habitants de la colonie ont décidé de déposer une plainte collective pour obtenir un million de dollars chacun auprès de l'État chilien, accusé d'avoir permis l'existence d'« une des sectes les plus dangereuses de l'histoire de l'humanité », selon leur avocat et ancienne victime, Winfried Hempel.

LE DICTATEUR AUGUSTO PINOCHET AVEC 
PAUL SCHAEFER, GERARD MÜCKE  ET
ALBERT SCHREIBER LES CHEFS DE 
COLONIA DIGNIDAD 
La plainte doit aussi viser l'État allemand, auquel il est reproché de ne pas avoir porté secours à ses ressortissants.

Frank-Walter Steinmeier a reconnu que la gestion par les autorités allemandes de l'époque de la Colonia Dignidad n'était « pas à l'honneur de l'histoire du ministère allemand des Affaires étrangères ».

« De longues années durant, des années 60 aux années 80, des diplomates allemands ont au mieux détourné le regard » de ce qui se passait dans ce lieu, a-t-il ajouté. « En tous les cas (ils ont fait) trop peu pour la protection de leurs concitoyens dans cette colonie ».

Il a aussi admis que même après la fin des exactions commises dans la colonie, les autorités allemandes n'avaient pas fait preuve « de la détermination et de la transparence nécessaires pour identifier ses responsabilités et en tirer des leçons ».

Créé en pleine nature dans le sud du Chili en 1961, Colonia Dignidad ou la « colonie de la dignité » se voulait un village familial idyllique.

En réalité, son fondateur, un ancien caporal de l'armée nazie, Paul Schäfer a régné avec brutalité sur cette communauté allemande de quelques centaines de personnes, les soumettant à de sévères règles de conduite allant jusqu'à l'esclavage.

Il a aussi multiplié les abus sexuels sur les enfants.


Après sa fuite en 1997, les Chiliens ont découvert que l'enclave allemande avait aussi été un enfer pour les opposants à la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), nombre d'entre eux y ayant été torturés ou ayant disparu là-bas.

samedi 23 avril 2016

RSF S'OPPOSE À LA VOLONTÉ DU GOUVERNEMENT CHILIEN DE SANCTIONNER LES FUITES DANS LA PRESSE


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KAROL CARIOLA, PRÉSIDENTE DU GROUPE PARLEMENTAIRE
GAUCHE CITOYENNE - PARTI COMMUNISTE (IC-PCCH) 

KAROL CARIOLA, PRÉSIDENTE DU GROUPE PARLEMENTAIRE GAUCHE CITOYENNE - PARTI COMMUNISTE (IC-PCCh),  S'OPPOSE AUX PROJET DE LOI DE «CONTRÔLE PRÉVENTIF D'IDENTITÉ» ET À LA «LOI BÂILLON»
Dans le même temps, une mesure similaire, appuyée par le gouvernement de Michelle Bachelet, a été votée au Sénat. Elle prévoit des sanctions financières pour les journalistes qui publient des informations concernant des affaires judiciaires inscrites dans le cadre de la loi antiterroriste, et, là encore, des peines de prison pour les lanceurs d’alerte ayant dévoilé ces informations aux médias.

Ces deux textes, baptisés ‘Leyes Mordaza’ (lois bâillons) par ses opposants, pourraient entrer en vigueur dès le 21 mai en cas de vote favorable de la Chambre des députés. Ils provoquent un vif débat au sein de la société chilienne, et interviennent dans un climat particulièrement tendu puisque plusieurs personnalités politiques- notamment des proches de la présidente Bachelet- , grands chefs d’entreprise et militaires chiliens sont sous le coup d’enquêtes judiciaires pour de multiples affaires de corruption, d’abus de pouvoir ou encore de financement illégaux de campagne...

Reporters sans frontières dénonce les manoeuvres des pouvoirs exécutifs et législatifs chilien. Ces deux mesures portent une grave atteinte au droit à l’information, et constituent une régression significative de la démocratie au Chili, déclare Emmanuel Colombié, chef du bureau Amérique latine de RSF. Les députés chiliens doivent faire le choix de la transparence et voter contre contre ces “lois bâillons”, qui sont de toute évidence destinées à protéger certains intérêts privés et à dissimuler les informations compromettantes pour le pouvoir en place.”

C’est un retour au secret de l’instruction”, souligne Hugo Dolmetsch, président de la Cour Suprême du Chili. Claudio Uribe, président de l'Association Nationale des Procureurs, estime quant à lui que ces réformes établissent “une règle judiciaire qui n’aidera qu’un petit nombre de personnes, celles qui sont proches du pouvoir et les détenteurs de grands capitaux”.

Malgré une relative stabilité démocratique et une positionnement enviable au classement mondial de la liberté de la presse (le Chili est 31ème sur 180) le pays reste en proie à des problèmes de corruption et souffre encore des relents de la dictature militaire. RSF avait dénoncé en novembre 2015 la violation du secret des sources par la justice militaire, qui avait exhorté le magazine The Clinic à révéler ses sources après la révélation d’un scandale impliquant des officiels de l’armée.

vendredi 22 avril 2016

OS PARALAMAS DO SUCESSO - LUÍS INÁCIO 300 (PICARETAS)

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«LUÍS INÁCIO (300 PICARETAS)» (LUIZ INÁCIO L’A DIT, LUIZ INÁCIO A PRÉVENU / CE SONT TROIS CENTS PICARETAS AVEC DES TITRES DE DOCTEUR.)   INTERPRÉTÉE PAR LES «OS PARALAMAS DO SUCESSO». CHANSON ÉCRITE ET COMPOSÉ PAR HERBERT VIANNA, AVEC LA PARTICIPATION SPÉCIALE DE JAIRO CLIFF, DE LA BANDE DE REGGAE LORD MARACANÃ.
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DURÉE : 00:03:18 

AU BRÉSIL, «TROIS CENTS VOLEURS AVEC DES TITRES DE DOCTEUR»


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Réélue de justesse en octobre 2014 et affaiblie par un scandale de corruption sans précédent au sein de la société Petrobras, la présidente brésilienne Dilma Rousseff a souhaité apaiser son opposition en mettant la barre à droite. Peine perdue : elle n’est parvenue qu’à aiguiser l’appétit des libéraux. Coupée de sa base, la voici livrée à des députés rebelles et parfois moins soucieux de politique que d’enrichissement personnel.  
Le Congrès, fer de lance des intérêts de l’élite
 LAMIA OUALALOU

par Lamia Oualalou article paru en Novembre 2015







C’est à une triple crise, économique, politique et 
IMAGE AMIS DES SANS 
TERRE BRÉSILIENS (MST)
institutionnelle, que le Brésil se trouve confronté. Après douze ans de croissance, le géant latino-américain s’enfonce dans la récession. Le produit intérieur brut (PIB) devrait reculer de 3 % cette année, et la contraction pourrait se poursuivre en 2016, dans un contexte d’explosion du chômage (près de 8 %, contre 4 % en 2014) et d’inflation élevée (plus de 9,5 % attendus cette année).

Conspuée par la majorité de la population — moins de 10 % des Brésiliens approuvent son action —, la présidente Dilma Rousseff a subi depuis cet été une série de camouflets. Pour tenter de calmer l’opposition, qui exige sa destitution, elle a accepté en août de collaborer avec l’élite économique à la mise en place d’un programme très conservateur, baptisé « Agenda Brasil » (1). Peine perdue : deux mois plus tard, à la demande de l’opposition, le Tribunal supérieur électoral (TSE) diligentait une enquête sur le financement de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2014. Dans la foulée, le Tribunal des comptes de l’Union (TCU) invalidait les comptes publics de l’Etat pour l’année passée. Cette décision, sans précédent depuis 1937, signifie que le Congrès est invité à les rejeter.

Patrons de presse omniprésents

Selon les magistrats chargés du contrôle des comptes, Mme Rousseff aurait délibérément minoré le déficit public, dont l’ampleur réelle aurait pu lui nuire dans le contexte électoral. Pour l’opposition de droite, il s’agit d’un « crime de responsabilité », l’un des motifs prévus par la Constitution de 1988 pour la destitution du chef de l’État. Mais une telle procédure ne peut avancer sans l’aval d’un Parlement plus rebelle que jamais à l’autorité de la présidente.




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«LUÍS INÁCIO (300 PICARETAS)» (LUIZ INÁCIO L’A DIT, LUIZ INÁCIO A PRÉVENU / CE SONT TROIS CENTS PICARETAS AVEC DES TITRES DE DOCTEUR.) INTERPRÉTÉE PAR LES «OS PARALAMAS DO SUCESSO». CHANSON ÉCRITE ET COMPOSÉ PAR HERBERT VIANNA, AVEC LA PARTICIPATION SPÉCIALE DE JAIRO CLIFF, DE LA BANDE DE REGGAE LORD MARACANÃ.
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Le Congrès a été instauré en 1824, au lendemain de l’indépendance du Brésil, qui s’est opérée sans rupture violente avec la couronne portugaise et en assurant une grande continuité des structures de pouvoir antérieures. Il compte aujourd’hui 513 députés et 81 sénateurs, et se caractérise par sa faible représentativité populaire. Sa principale vertu ? Permettre aux élites de perpétuer leur mainmise sur le pouvoir. En 1993, M. Luiz Inácio Lula da Silva résumait la situation d’une formule cinglante : le Parlement, disait-il, était contrôlé par une majorité de «trois cents picaretas» — un terme d’argot brésilien désignant des opportunistes doublés de bandits. La sentence a fait mouche et a été reprise par le groupe de rock Os Paralamas do Sucesso : «Luiz Inácio l’a dit, Luiz Inácio a prévenu / Ce sont trois cents picaretas avec des titres de docteur.» Elu président fin 2002, l’ancien ouvrier métallurgiste, converti au pragmatisme, a remisé ses critiques et appris à chanter les louanges de ceux qu’il vilipendait.

Pourtant, rien n’a changé depuis 1993. Le profil-type du parlementaire élu fin 2014 reste celui d’« un homme, blanc, d’une cinquantaine d’années, titulaire d’un diplôme universitaire, chef d’entreprise et détenteur d’un patrimoine supérieur à 1 million de reais [environ 300 000 euros] », résume Edson Sardinha, du site Congresso em Foco, qui décortique quotidiennement le fonctionnement du pouvoir législatif. Il aurait pu ajouter que beaucoup de députés sont aussi patrons de presse : en 2008, l’étude «Donos da Mídia» établissait que 271 d’entre eux étaient liés directement ou indirectement à une entreprise de presse, bien que la Constitution l’interdise (2).

Le système politique perpétue un fossé entre la population et ses élus. Aux États-Unis par exemple, chaque député représente un nombre d’habitants identique. Au Brésil, la distribution des 513 sièges entre les 26 États et le district fédéral de Brasília s’effectue proportionnellement à la population, mais à un détail près : aucune unité de la fédération ne peut compter moins de huit élus (c’est le cas du Roraima, où vivent moins d’un demi-million de personnes), ni plus de 70 (une limite atteinte par São Paulo et ses 44 millions d’habitants). Et l’asymétrie est encore plus forte au Sénat, avec trois sénateurs par unité fédérative. En favorisant la représentation des petits États, ce système renforce le pouvoir des caciques locaux, qui s’imposent aux partis et empêchent le renouvellement de la classe politique. Recrutés par des formations aux contours idéologiques flous, ils n’hésitent pas à faire monter les enchères et à changer d’étiquette en fonction de leurs intérêts — même si une réforme adoptée en 2007 limite désormais cette pratique.

Autre singularité : le mode de scrutin, une proportionnelle de liste ouverte à un seul tour. L’électeur peut voter soit pour un candidat, soit pour une liste (parti seul ou coalition). Mais, à l’arrivée, le résultat semble bien relever de la loterie, car le nombre de sièges emportés par chaque liste résulte d’un calcul complexe baptisé «quotient électoral». La somme des voix obtenues par les candidats et de celles qui se sont portées sur le parti ou la coalition est divisée par le nombre de sièges impartis à la circonscription. Ainsi, si un candidat rassemble un grand nombre de suffrages, il permet l’accession au Parlement d’autres députés de sa liste qui n’ont pourtant récolté que très peu de voix. En outre, les coalitions mêlant des formations de droite et de gauche, un citoyen peut voter pour un militant des droits humains et contribuer malgré lui à l’élection d’un homophobe partisan de l’expulsion des paysans sans terre, par exemple.

Un tel système incite les partis à courtiser les personnalités et les leaders charismatiques, les fameux puxadores de votos («aspirateurs à voix»). Dans un contexte où le vote est obligatoire et où plus de la moitié des électeurs n’ont même pas fini le collège, un nom connu peut rassurer. Et ce d’autant plus qu’il faut élire simultanément un président, un gouverneur, un sénateur, un député fédéral et un député siégeant à l’Assemblée de son État, chaque fois selon un mode de scrutin différent. Ainsi, en 2010, le député fédéral le mieux élu du pays, avec 1,3 million de voix, était un clown professionnel, Francisco Everardo Oliveira da Silva, alias Tiririca, sans aucune expérience politique mais très populaire. Dans la foulée, il a fait entrer au Parlement vingt-quatre candidats de sa coalition qui n’y seraient jamais parvenus seuls.

Allégeances à géométrie variable

Mais le système politique brésilien est aussi gourmand d’anciennes stars du sport — tel le footballeur Romário de Souza Faria —, de policiers, de pasteurs évangéliques ayant une émission de télévision ou encore d’héritiers de grandes familles politiques. L’étudiant en droit Uldurico Junior avait 22 ans lorsque, en octobre 2014, il a été élu dans l’État de Bahia, prenant ainsi la suite de son père, le député Uldurico Pinto. Selon un relevé du Département intersyndical de conseil parlementaire (DIAP), qui publie à chaque législature une radiographie du Congrès, 211 élus doivent d’abord leur élection à leurs liens de parenté.

L’exposition médiatique permet de se faire connaître, mais le coût des campagnes atteint de tels sommets qu’il n’est pratiquement plus envisageable de se présenter sans disposer d’une fortune personnelle ou d’accointances avec de riches contributeurs. Entre la production de spots, les honoraires des spin doctors (ces communicants spécialisés dans la politique), parmi les plus élevés du monde, et les frais logistiques dans un pays gigantesque, le tribunal électoral estime que, en 2014, l’élection d’un député a coûté à son parti 6,4 millions de reais (environ 1,5 million d’euros), soit une hausse de 283 % en douze ans. Et les sommes sont en réalité supérieures, car, en l’absence de financement public des campagnes et sans vraie surveillance des dons des entreprises, tous les grands partis mettent sur pied une « caixa 2 » (littéralement : «caisse n° 2») de financement occulte. Cette pratique favorise les affaires de corruption, comme celle qui a éclaté début 2014 au sein du groupe national d’hydrocarbures Petrobras. A la suite d’une bataille législative et d’une décision de la Cour suprême, le financement des campagnes par des entreprises vient pour la première fois d’être suspendu en 2015, mais rien ne garantit qu’il ne sera pas rapidement rétabli.

En l’absence de seuil plancher de voix pour accéder à une représentation nationale, on assiste par ailleurs à l’explosion du nombre de formations au Congrès, sans qu’aucune puisse obtenir de majorité relative significative. Avec 28 partis, soit six de plus qu’entre 2011 et 2014, l’actuelle Assemblée bat un nouveau record. Le Parti des travailleurs (PT) de Mme Rousseff, en tête, ne dispose que de 69 députés. Ainsi, même un président élu à une large majorité se voit contraint à des négociations perpétuelles pour se bâtir une base parlementaire et la maintenir tout au long de son mandat. En 2005, alors que M. Lula da Silva était au pouvoir, le PT a été accusé de verser des pots-de-vin à des députés d’autres partis pour s’assurer de leur soutien lors du vote de certaines lois. Baptisée mensalão («mensualité») par la grande presse — majoritairement liée à l’opposition —, cette pratique n’a jamais été formellement prouvée, mais le scandale illustre la difficulté de maintenir une majorité.

Comment gouverner dans le cadre de ce «présidentialisme de coalition» ? L’exécutif bénéficie de ressources et de prérogatives constitutionnelles qui lui permettent d’attirer à lui des partis. Il nomme des ministres, distribue des postes au sein du gouvernement fédéral et dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur le financement des amendements parlementaires. La construction de tel pont, de telle route ou de tel centre médical dans une circonscription dépend du gouvernement. L’accorder à un député, qui pourra s’en prévaloir auprès de ses électeurs, revient souvent à s’attirer ses faveurs.

« Pour les partis, il est donc tentant de faire alliance avec le gouvernement. Mais, quand l’exécutif n’a ni charisme politique, ni talent, ni disposition pour ces négociations, ce mécanisme institutionnel peut se transformer en piège », analyse Paulo Peres, professeur de sciences politiques à l’Université fédérale du Rio Grande do Sul. Les « alliés » du gouvernement versent alors dans le chantage pour obtenir davantage de ressources et de postes : après les ministères, des nominations à tous les échelons de l’administration. C’est exactement la situation dans laquelle se trouve Mme Rousseff, tandis que l’opposition, elle, redouble d’efforts pour l’affaiblir, espérant conquérir le pouvoir à la prochaine élection, voire, pour certains députés, obtenir sa destitution.

Divers comportements peuvent s’observer au sein d’un même parti, tant les positionnements idéologiques sont flous et dépendent des bases régionales, souvent en concurrence les unes avec les autres. Ainsi, début octobre 2015, Mme Rousseff a offert des ministères supplémentaires au Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), une formation sans ligne politique, dans l’espoir que ses membres bloquent le processus de destitution au Parlement. Mais elle n’est parvenue à contenter que l’une des ailes du parti, celle de l’État de Rio de Janeiro. Les autres élus, comme ceux de l’État de Santa Catarina, continuent à plaider pour une sortie du gouvernement, craignant que l’impopularité record de l’exécutif ne rejaillisse sur eux à un an des élections municipales. « Les groupes parlementaires ne sont pas homogènes. Les députés sont censés répondre à leur chef de groupe, mais, en réalité, ils peuvent faire allégeance à des personnalités qui ne sont pas nécessairement des élus du Congrès : un gouverneur ou un maire, par exemple », explique Stéphane Monclaire, spécialiste du Brésil à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Ignorante des rouages du système, Mme Rousseff a ainsi permis à M. Eduardo Cunha, président du Parlement et ténor du PMDB, de faire la pluie et le beau temps durant la première année de son second mandat. En février 2015, juste après sa réélection, elle a commis l’erreur de tenter d’empêcher son accession au perchoir, pourtant arithmétiquement acquise, s’en faisant d’emblée un ennemi. Or M. Cunha contrôle des dizaines d’élus, bien au-delà de son bastion de Rio de Janeiro, car il a fait financer leurs campagnes par des entreprises « amies ».

Maître de l’agenda du Parlement — c’est lui qui décide de l’ordre du jour —, il a favorisé une batterie de projets de loi extrêmement conservateurs, de la réduction des droits des salariés à l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. Il renvoie également l’ascenseur aux entreprises qui ont financé sa campagne et celles de ses protégés. Il s’est par exemple opposé à la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur les malversations des mutuelles de santé, qui donnent pourtant lieu à quantité de procès.

M. Cunha n’obtient pas toujours gain de cause. Mais, pugnace, il revient à la charge, rappelant à de nombreux députés qu’ils sont ses obligés. Une récente enquête de l’Université fédérale de Campina Grande a calculé que 140 parlementaires, soit un quart de la chambre, s’alignent sur ses recommandations ; bien plus, donc, que ne devrait le lui permettre la zone d’influence de son parti, lequel compte 65 élus.

Dans le jargon du Parlement, on appelle ces députés « la bancada Cunha » ; littéralement, sa « rangée de bancs ». À l’origine, le terme signifiait l’appartenance à telle ou telle formation politique (on parlait de la bancada du PT, du PMDB, etc.), mais il a perdu son sens partisan à mesure que s’affirmait la puissance des lobbys. Dans un Parlement divisé en 28 groupes politiques, les bancadas nouvelle formule articulent des intérêts particuliers et promeuvent diverses causes avec des motivations diverses. Ces causes, «d’ordre civique, moral, environnemental, économique ou de genre, entre autres, donnent naissance à des groupes de pression efficaces», précise M. Antônio Augusto de Queiroz, du DIAP.

Les représentants du complexe agro-industriel (153 députés) et les chefs d’entreprise (217) constituent les deux principaux groupes. « On trouve également la bancada des évangéliques, ou du secteur de la sécurité. D’autres, comme celles des entreprises de l’éducation, de la santé ou des transports, n’ont pas le même degré d’engagement », ajoute M. de Queiroz. Les députés évangéliques se retrouvent les mardis soir en réunion de travail et les mercredis matin pour une messe ; ceux qui défendent les intérêts des mutuelles de santé ne coordonnent leur action qu’à la veille des votes les concernant. Ces regroupements ont toutefois perdu une partie de leur pouvoir depuis que le Tribunal suprême fédéral a ratifié la « fidélité partisane », en 2007. Les partis peuvent désormais exiger une unité de vote de leurs membres, n’autorisant les écarts qu’à titre exceptionnel.

Le désarroi des mouvements sociaux

Quant à M. Cunha, il joue sur tous les tableaux : il orchestre l’action des évangéliques, dont il est un membre éminent, mais également celle de la bancada de la sécurité en faveur de mesures répressives, ainsi, bien sûr, que celle de son propre parti. Impliqué dans le scandale de corruption Petrobras — il aurait déposé des millions en Suisse —, il ne rêve plus de célébrer la nouvelle année à son poste de président de l’Assemblée. Mais il garde un pouvoir considérable et pourrait même influer sur le choix de son successeur.

Toutefois, sa disparition du devant de la scène ne servira pas forcément la présidente, qui a eu le tort d’alimenter les disputes internes au sein du PMDB en favorisant contre M. Cunha tantôt le vice-président Michel Temer, tantôt le président du Sénat Renan Calheiros. « Les tensions qui existent aujourd’hui entre le Congrès et le Planalto [siège de l’exécutif] découlent en grande partie de la bataille d’influence entre les leaders du PMDB en vue de la prochaine élection présidentielle », analyse Monclaire.

Abandonnée par le Congrès, Mme Rousseff peut de moins en moins compter sur le soutien des mouvements sociaux, désorientés par sa politique d’austérité budgétaire et son rapprochement avec les forces les plus conservatrices du pays (3). « Si ce gouvernement veut qu’on le défende dans la rue, qu’il nous donne des raisons de le faire », martèle M. Guilherme Boulos, principal dirigeant du Mouvement des travailleurs sans toit et figure montante de la gauche.

Pour lui, alors que le PT semble tétanisé par son appartenance au gouvernement, il devient urgent que la présidente abandonne sa stratégie de négociations — douteuses — avec les députés. « Il faut qu’elle pense au-delà du Congrès, qu’elle envisage la mobilisation sociale comme un atout. Sans quoi nous nous retrouverons avec le gouvernement le plus réactionnaire de l’histoire récente », s’alarme-t-il. Mais, à gauche, on se montre d’un optimisme plutôt ténu : même lorsqu’il était au faîte de sa gloire, avec 85 % d’opinions favorables, M. Lula da Silva n’a jamais envisagé d’affronter le Congrès pour lui imposer une véritable réforme politique…

Lamia Oualalou
Journaliste, Rio de Janeiro.



(3) Lire Breno Altman, « Virage à droite pour le Parti des travailleurs », Le Monde diplomatique, avril 2015.

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«LUÍS INÁCIO (300 PICARETAS)» (LUIZ INÁCIO L’A DIT, LUIZ INÁCIO A PRÉVENU / CE SONT TROIS CENTS PICARETAS AVEC DES TITRES DE DOCTEUR.)   INTERPRÉTÉE PAR LES «OS PARALAMAS DO SUCESSO». CHANSON ÉCRITE ET COMPOSÉ PAR HERBERT VIANNA, AVEC LA PARTICIPATION SPÉCIALE DE JAIRO CLIFF, DE LA BANDE DE REGGAE LORD MARACANÃ.
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jeudi 21 avril 2016

LE CHILI ENTRAÎNÉ PAR LA CHUTE DU CUIVRE

Le cuivre, sorte de baromètre de l’économie mondiale, a tendance à monter ou descendre avant les autres métaux de base. Le fait qu’il se maintienne autour de 2,20$ en 2016 n’est donc pas de bon augure pour les producteurs de fer, de nickel ou de zinc.En novembre dernier, alors que le prix de la livre dégringolait pour une première fois sous la barre du 2,20$, le président d’une association minière du centre du pays déclarait carrément que « la majorité» des mines chiliennes opérait en-deçà du seuil de rentabilité.

La situation est-elle si critique au pays du métal rouge? « Il y a quelques mines qui ont fermé, mais c’était des petites ou moyennes entreprises », dit Enrique Calfucura, économiste au département d’économie de l’Université Diego Portales, à Santiago. « En général, la majorité des mines moyennes ou grandes peuvent encaisser un prix de 2,20$. »

Il semble effectivement que les grandes exploitations jouissent d’une marge de manœuvre appréciable : selon un rapport publié en décembre, les 19 grandes mines du pays, qui représentent 91 % de la production nationale, opéraient à un coût unitaire moyen de 1,62$ au deuxième trimestre 2015. Rien n’indique que ce coût ait augmenté depuis. « Les grandes mines opèrent à pleine capacité et font des profits, même s’ils sont nettement moindres », dit M. Calfucura. Parmi celles-ci, trois appartiennent à des sociétés canadiennes : Candelaria (Lundin Mining), Quebrada Blanca (Teck) et Zaldivar (Barrick).

Ainsi, ce ne sont pas les fermetures qui expliquent la révision à la baisse de la production pour 2015, d’abord estimée à 6 millions de tonnes pour finalement s’établir à 5,76 –une croissance anémique d’à peine 0,3 % par rapport à 2014. « De mon point de vue, ce sont les prix qui expliquent cette stagnation », croit Pablo Arancibia, directeur principal à PwC Chili. « Pourquoi gaspiller du cuivre à 2,20$ si vous pouvez attendre et le vendre à 2,50$ plus tard?»

N’empêche que cette chute de revenus fait mal au trésor public. En février, le gouvernement a dû retrancher 540$ M de ses dépenses pour 2016, l’équivalent de 1 % de son budget. Celui-ci avait d’abord été calculé sur la base d’une livre de cuivre à près de 3$, puis à 2,6$ –des scénarios bien trop optimistes.

Un horizon aride

Pour les projets, c’est pire. « N’importe quel projet avec un coût de production à 2$ ou 3$ est retiré de la table à dessein », dit M. Arancibia. « On a vu beaucoup de reports, parfois des annulations dans les deux dernières années. »

Pas plus loin qu’en décembre 2014, le gouvernement estimait pourtant à 80 milliards de dollars les investissements dans les projets de cuivre d’ici 2023, dont près de la moitié allait se matérialiser avant 2018. « La vérité maintenant, c’est que la grande majorité de ces projets ne seront pas financés ni entrepris avant 2020 », estime le spécialiste minier. Ces retards ont déjà provoqué en 2015 plus de 40 000 pertes d’emplois dans le secteur, selon l’Institut national de statistiques.

La mer à boire

La chute des prix du cuivre survient dans un contexte déjà passablement compliqué. Car si le nord du pays est riche en cuivre, il est extrêmement pauvre en eau et en énergie : deux composantes essentielles pour les producteurs.

« Il y a peu d’endroits au monde où les coûts énergétiques soient aussi élevés qu’au Chili », dit M. Arancibia. « On a un grand potentiel hydroélectrique au sud, mais les communautés s’opposent aux projets dans leur voisinage, qui souvent sont annulés. Ça compromet la consommation électrique future et donc ça affecte le calcul des coûts. »

Quant à l’eau, elle occasionne tellement de conflits dans le désert du nord que le gouvernement envisage de réformer son « code de l’eau ». « Ça pourrait signifier de garantir le droit social à l’eau pour les populations et donc plus de restrictions pour le secteur privé », croit M. Calfucura.

La solution passe par le dessalement d’eau de mer, mais celui-ci implique des dépenses en capital exorbitantes, à une époque où le financement est anémique. « Avec les prix du moment, c’est une alternative peu rentable, comparé à essayer d’acheter les droits d’eau des agriculteurs ou des municipalités », dit M. Calfucura.

M. Arancibia est plus optimiste. « Ça va bientôt cesser d’être un obstacle », croit-il. « La mise en service des usines de dessalement a occasionné un paquet de problèmes dans les cinq dernières années. On est tôt dans la courbe alors les coûts associés sont élevés. C’est un investissement qui est long à récupérer, mais une fois que les économies d’échelle vont commencer à se faire, toute l’économie du nord va se stabiliser. »

AU BRÉSIL, DILMA ROUSSEFF SE DIT PRÊTE À « RÉSISTER »


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DES FEMMES BRANDISSENT DES FLEURS ORS DE LA MANIFESTATION
«FLEURS POUR LA DÉMOCRATIE», CONTRE LA DESTITUTION DE 
DILMA ROUSSEFF, FACE AU PALAIS PRÉSIDENTIEL DE PLANALTO, 
À BRASILIA, LE 19 AVRIL 2016.
PHOTO  ERALDO PERES
Elle est arrivée les traits tirés, un peu lasse, mais la tête haute. Quarante-huit heures après le vote des députés réclamant à une très large majorité sa destitution, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, reste déterminée à laver l’injustice dont elle s’estime victime. Prête à « résister avec honneur et dignité » à ce qu’elle continue d’appeler un coup d’Etat. Mardi 19 avril, l’ancienne guérillera a détaillé pendant de longues minutes à la presse étrangère l’explication technique conduisant à cette conclusion : les manipulations comptables dont on l’accuse sont sans fondement juridique.
Par Claire Gatinois
Mais la machine visant à l’éloigner du Planalto est en marche. Lundi 25 avril, la commission sénatoriale devrait être formée pour analyser sa destitution. S’en suivra un vote au Sénat prévu le 17 mai. En cas d’aval d’une majorité simple de 81 sénateurs, Dilma Rousseff sera éloignée du pouvoir pendant 180 jours, remplacée par son vice-président Michel Temer, avant un vote final à la majorité des deux tiers, probablement en octobre.

Presque assis sur le trône, Michel Temer qui fit deux fois campagne aux côtés de la présidente, dit attendre « silencieusement et respectueusement » le scrutin du Sénat. Mais en coulisse, l’ancien chef du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) s’active, multipliant les rendez-vous pour former son gouvernement. Lundi soir, il dînait à Sao Paulo avec Aecio Neves, du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) rival malheureux face à la candidate du Parti des travailleurs (PT, gauche) en 2014, et avec l’ancien président de la banque centrale, Arminio Fraga, qui aurait refusé le poste de ministre de l’économie que M. Temer lui aurait offert. « Ils vendent la lune », raille Mme Rousseff.
« Un vieux putschiste sommeille au Brésil »

Malmenée par la rue depuis sa réélection en 2014, la dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva juge avoir été le jouet d’une conspiration orchestrée par son vice président et d’une vengeance fomentée par le président de la chambre des députés, Eduardo Cunha. « Un homme coupable de corruption et de blanchiment d’argent », qu’elle a refusé de soutenir pour lui permettre d’échapper à la justice, rappelle-t-elle. L’impeachment s’est révélé pour ce petit groupe comme «l’unique possibilité d’obtenir le pouvoir», détournant la procédure de destitution en une sorte «d’élection indirecte », dit-elle.

La présidente n’est pas la seule à souffrir de cette torsion du droit constitutionnel. «Depuis les années 1960 l’impeachment s’est transformé de façon systématique en un outil contre les présidents élus.» Et d’ajouter «un vieux putschiste sommeille au Brésil».

Le «pédalage budgétaire», dont la présidente se serait rendue coupable n’est, de facto, pas la réelle motivation de la destitution. En attestent les mots prononcés dimanche 17 avril par les parlementaires. Rarement les élus ont fait mention du «crime» comptable de Dilma Rousseff, préférant évoquer la défense de valeurs traditionnelles, la famille, Dieu, ou la situation économique «désastreuse» dans laquelle se trouve le pays.

Une partie des économistes estime que la mauvaise gestion de la présidente et de ses conseillers n’a fait qu’aggraver la situation. Mais de mea culpa, elle n’en fera pas. «Je ne suis pas responsable de la fin du super-cycle des matières premières», a-t-elle expliqué. La chute des prix du pétrole, dont dépend en grande partie l’économie du Brésil ne pouvait être anticipée, pas plus que la grande sécheresse de 2014. Et même si la conjoncture a empêché la présidente de tenir ses promesses de campagne, «je n’ai trompé personne». L’impeachment, prévient-elle, ne mènera pas à la stabilité politique ni au retour de la croissance comme l’estiment certains. Il signera une «rupture avec la démocratie». En quête d’une alternative, un petit groupe de sénateurs entend déposer un amendement constitutionnel afin de convoquer de nouvelles élections en octobre. Mais leurs chances sont maigres et le délai, très court.

Manque de tact

Dilma Rousseff que l’on dit arrogante et têtue, a sans doute manqué de tact avec le Congrès. Quand Lula recevait les parlementaires dans son bureau la main sur l’épaule, trouvant des arrangements pour faire voter ses lois, elle les faisait patienter dans sa salle d’attente, en vain. «Ce n’est pas son monde. C’est une puriste. Marchander avec eux l’a toujours gênée», explique un de ses proches.


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Ce refus de mettre les «pieds dans la glaise» a fait du Congrès le promoteur de sa chute. Et l’animosité de certains députés s’est muée en haine. Les propos de Jair Bolsonaro du Parti progressiste (PP, droite), sorte de Jean-Marie Le Pen brésilien, rendant hommage, dimanche, au colonel Ustra, grand tortionnaire de la dictature militaire (1964, 1985) resteront gravés dans la mémoire de celle qui fut torturée vingt-deux jours, pendant les années de plomb. «Lamentable» et «terrible», a-t-elle réagi, atterrée. Il ne s’agit pas de la seule attaque que la présidente a essuyée. «Certains ont eu un comportement envers moi qu’ils n’auraient jamais eu si j’avais été un homme.» La présidente devrait se rendre en fin de semaine à New York pour signer un accord sur le climat à l’ONU, mais aussi pour dénoncer auprès des médias américains le «coup d’État» dont elle s’estime victime.

BRÉSIL : « CE SONT 300 VOLEURS QUI ONT VOTÉ LA DESTITUTION » DE ROUSSEFF

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«LUÍS INÁCIO (300 PICARETAS)» (LUIZ INÁCIO L’A DIT, LUIZ INÁCIO A PRÉVENU / CE SONT TROIS CENTS PICARETAS AVEC DES TITRES DE DOCTEUR.)   INTERPRÉTÉE PAR LES «OS PARALAMAS DO SUCESSO». CHANSON ÉCRITE ET COMPOSÉ PAR HERBERT VIANNA, AVEC LA PARTICIPATION SPÉCIALE DE JAIRO CLIFF, DE LA BANDE DE REGGAE LORD MARACANÃ.
LICENCE YOUTUBE STANDARD  
DURÉE : 00:03:18 

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DILMA ROUSSEFF ET UN COUP D’ÉTAT POLITICO-MÉDIATIQUE
Argent, pouvoir, trahisons. La dernière télénovela brésilienne tourne mal pour Dilma Rousseff. Dimanche soir, la chambre des députés a voté à une majorité écrasante la destitution de la présidente. L'impeachment l'a emporté par 367 voix, 25 de plus que les 342 requises, seuls 137 députés ont voté contre. Une majorité simple de sénateurs sera suffisante lors du vote au Sénat, prévu au mois de mai, pour écarter Dilma Rousseff pour un maximum de 180 jours de la présidence, en attendant le verdict final.
 L'Obs
Laurent Delcourt, historien, auteur du livre «Le Brésil de Lula : un bilan contrasté » et chargé d’étude au CETRI (Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve, Belgique), dénonce un acharnement de l’opposition contre le Parti des travailleurs (PT) de Dilma Rousseff et un coup d’état politico-médiatique. Interview.

Etes vous surpris par l’issue du vote de dimanche soir ?

Argent, pouvoir, trahisons. La dernière télénovela brésilienne tourne mal pour Dilma Rousseff. Dimanche soir, la chambre des députés a voté à une majorité écrasante la destitution de la présidente. L'impeachment l'a emporté par 367 voix, 25 de plus que les 342 requises, seuls 137 députés ont voté contre. Une majorité simple de sénateurs sera suffisante lors du vote au Sénat, prévu au mois de mai, pour écarter Dilma Rousseff pour un maximum de 180 jours de la présidence, en attendant le verdict final.

Laurent Delcourt, historien, auteur du livre "Le Brésil de Lula : un bilan contrasté" et chargé d’étude au CETRI (Centre tricontinental, Louvain-la-Neuve, Belgique), dénonce un acharnement de l’opposition contre le Parti des travailleurs (PT) de Dilma Rousseff et un coup d’état politico-médiatique. Interview.


Etes vous surpris par l’issue du vote de dimanche soir ?

- Je ne suis absolument pas surpris étant donné que le vote émanait d’un parlement qui n’a jamais été aussi conservateur et qui est composé des forces politiques les plus rétrogrades du pays. On dit d’ailleurs que le congrès est dominé par le lobby du BBB pour "Boi, Biblia e Bala", c’est-à-dire "propriétaires terrien, Bible, et défenseurs des armes à feu".

Le parlement a voté la destitution de Dilma pour prendre le pouvoir qu’ils n’ont pas réussi à obtenir par la voie électorale. Cependant, je m’attendais à plus d’abstention. Certains députés avaient annoncé qu’ils allaient s’abstenir et ont changé d’avis à la dernière minute. On les accuse d’avoir été payés par des entreprises. Il y a sûrement eu des formes d’achat de vote, c’est très classique au Brésil.

Quelles sont les chances de Rousseff lors du vote au Sénat au mois de mai ?

- Le vote au Sénat m’apparaît comme une simple formalité : ils vont accepter la destitution parce que le Sénat est dominé par le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), c’est-à-dire les mêmes qui sont à la chambre des députés.

Les partisans de Dilma Rousseff parlent d’un coup d’État. Cette tentative de destitution est-elle comparable aux autres coups d’État qu’a connu le Brésil ?

- Oui, il s’agit bien d’un coup d’État. La plupart des organisations de défense des droits de l’homme qui agissent en Amérique latine le disent comme Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des États américains.

Il s’agit là du mode opératoire du courant réactionnaire qu’on retrouve à plusieurs reprises dans l’histoire du Brésil. En 1954, Getulio Vargas, qu’on appelait le père des pauvres, a été évincé par l’armée. Dix ans plus tard, Joao Goulart a été écarté par une junte militaire en raison de ses politiques sociales. Aujourd’hui, il s’agit d’un coup d’État institutionnel.


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Quels sont les enjeux derrière cette destitution?

- Les véritables enjeux sont la suppression des acquis du lulisme, la diminution des aides à la sante et à l’éducation, l'étouffement de certaines affaires de corruption et, un enjeu dont on parle très peu, celui de la privatisation des ressources pétrolières brésilienne en haute mer. C’est la raison pour laquelle les marchés réagissent très bien aux annonces de destitution. C’est aussi pour cette raison que la Fédération patronale des industries de Sao Paulo (FIESP) a soutenu les manifestants pro-impeachment. Les gros canards en plastique utilisés lors des manifestations sont le symbole de cette fédération patronale.

Quelles sont les accusations portées contre la présidente ?

- On veut destituer Dilma Rousseff pour une affaire presque anodine : on lui reproche le "pédalage fiscal". Il s’agit d’un recours passager à l’emprunt auprès d’institutions publiques pour financer les dépenses publiques notamment les dépenses sociales et le report de l’enregistrement de ces dépenses. C’est une pratique courante de tous les gouvernements depuis les années 90 et la pratique est toujours utilisée par certains États brésiliens. Et aujourd’hui, c’est devenu un prétexte pour destituer la présidente.

Il faut savoir que Dilma Rousseff n’a jamais été inquiétée dans les affaires de corruption ou de détournement. Quand elle est arrivée au pouvoir en 2011, elle a elle-même destitué sept de ses ministres soupçonnés de corruption. En revanche, sur les 65 membres de la commission parlementaire chargée d’autoriser le vote sur la destitution, 36 avaient été inquiétés pour des affaires de malversation.

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EDUARDO CUNHA,L'«ALI BABA» BRÉSILIEN
PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PHOTO UESLEI MARCELINO  
Au Brésil, c'est lui qui tire les ficelles de la procédure de destitution de la présidente depuis le début. Eduardo Cunha, le président de la Chambre des députés. Inculpé pour corruption, il a juré la perte de Dilma Rousseff. Hier, le conseil d'éthique du Congrès s'est vu limité dans ses investigations concernant Eduardo Cunha. Une décision qui montre encore une fois à quel point cet homme a du pouvoir. 
Né de parents italiens à Rio de Janeiro, il entre en politique en 2001 après avoir travaillé dans les assurances et dans plusieurs entreprises publiques. À 57 ans, le député évangélique et ultraconservateur du PMDB est le principal opposant de Dilma Rousseff. Cunha lui déclare la guerre quand le conseil d'éthique commence à enquêter sur son rôle dans l'affaire Petrobras et sur ses comptes en Suisse. Le même jour, il accepte d'ouvrir la procédure de destitution.*


Plus de 300 membres sur les 513 que compte le congrès brésilien font l’objet d’une enquête ou ont déjà été condamnés pour corruption, fraude électorale, utilisation de travailleurs forcés dans des plantations de soja et même de kidnapping ou de meurtre. Ce sont donc 300 voleurs qui ont voté la destitution d’une présidente plutôt honnête. Et ce sont eux qui vont reprendre les rênes du pays pour échapper à la justice.

On fait donc au Brésil en ce moment le procès de l’honnêteté plutôt que celui de la corruption?

- Non, parce que le Parti des Travailleurs (PT) a été inquiété dans l’affaire Petrobras. À son arrivée au pouvoir, le parti de Lula était le centre de l’éthique et de la lutte anti-corruption face à un congrès de voleurs, et finalement il a fini par tomber à son tour dans ce travers. Cependant, quand on examine les accusations dans l’affaire Petrobras, on se rend compte que le PT est un acteur mineur par rapport aux autres partis.



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MICHEL TEMER, VICE-PRÉSIDENT DU BRÉSIL, PRENDRAIT LE POUVOIR INTÉRIM. 
PHOTO EVARISTO SA  

Comment expliquez l’impopularité de Dilma Rousseff ?

 - Dilma Rousseff n’est soutenue que par 10% de la population brésilienne ; c’est une présidente très impopulaire qui passe mal dans les médias. Elle est cassante et n’a pas hésité à exclure certains ministres. Dilma Rousseff a laissé travailler la justice dans les affaires de corruption alors que ses prédécesseurs l’ont toujours entravé. C’est aussi une personne qui n’a pas le talent de négociation de Lula. En revanche, le vice-président Temer, son probable successeur, n’a même pas 1% d’opinions favorables, et le président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, qui mène la bataille contre la présidente est soupçonné d’avoir détourné des millions. Son nom est d'ailleurs cité dans les Panama Papers.

Quelle est actuellement la position de l’opinion publique brésilienne ?

- Il y a une grande division de classes dans la société brésilienne. La plupart des pauvres de régions comme le Nordeste, qui ont beaucoup profité des politiques sociales mises en place par Lula et Rousseff, sont contre la destitution. Pour eux, même si Lula a volé, il a amélioré les conditions des pauvres.

Ceux qui défilent dans la rue sont issus des classes moyennes supérieures, ont des diplômes universitaires et des revenus au-delà de dix salaires minimums. Ils appartiennent à l’élite. Parmi eux, il y a un ras le bol généralisé des affaires de corruption mais aussi le refus des politiques de redistribution. Dans leurs slogans, on retrouve le rejet de l’impôt et des propos haineux à l’encontre des pauvres accusés d’avoir été entretenus par le PT.

En cas de destitution, peut-on s’attendre à d’autres révoltes de la part des populations défavorisées ?

- Tout dépend des politiques qu’on va mener. Michel Telmer a déjà négocié un programme politique nommé "Pont vers le futur" qui remet en cause certains acquis sociaux de Lula, notamment les budgets destinés à la santé et à l’éducation. Pour l’instant, les réactions de la part des partisans du PT sont assez contenues. Mais la société brésilienne s’est fortement fracturée ces derniers temps. Le Brésil va probablement basculer dans une période de chaos politique suivie de beaucoup d’autres manifestations.

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Comment jugez-vous la couverture de cette crise dans les médias européens ?

- Les médias européens se sont tous alignés sur les grands titres de la presse brésilienne. Ils ont repris les unes des journaux brésiliens sans distance politique. Depuis un an, les médias brésiliens n’ont pas ménagé leurs efforts pour aiguiller l’opinion publique contre Dilma Rousseff. Ils sont complètement silencieux par rapport aux affaires de corruption de certains députés qui ont voté la destitution. Il faut savoir que 117 parlementaires au Brésil sont liés directement ou indirectement à des entreprises de presse.

Seuls les journaux "Der Spiegel" et le "New York Times" ont fait un travail critique et ont parlé des dangers représentés par cette destitution pour la démocratie brésilienne. Les autres ont présenté cette crise comme l’indignation de tout un peuple contre la corruption alors qu’elle n’était qu’un prétexte.

Propos recueillis par Sevin Rey-Sahin