mercredi 14 décembre 2016

CHILI: LA FEMME DE PINOCHET DEVANT LA JUSTICE POUR DÉTOURNEMENT DE FONDS PUBLICS

Ce mercredi 14 décembre, Lucia Hiriart de Pinochet va être interrogée par la justice pour son rôle dans les délits présumés de détournement et malversation de fonds publics. La femme de l’ancien dictateur aurait utilisé la fondation à but non lucratif Cema Chile, qu’elle présidait, pour s’enrichir personnellement.


À 9h30, ce mercredi 14 décembre, le juge Guillermo de la Barra va interroger pour la première fois Lucia Hiriart de Pinochet, qui a célébré samedi son 94e anniversaire ainsi que les dix ans du décès de son mari. Les questions ne devraient pas manquer. La première dame de la dictature (1973-1990) est accusée d’avoir accaparé des centaines de biens immobiliers de l’État - terrains, maisons, édifices - à travers la fondation Cema Chile qu’elle a présidée entre 1973 et août de cette année, et d’en avoir vendu une partie pour son usage personnel et celui de sa famille.


Jusqu’ici, les différentes enquêtes journalistiques ont réussi à comptabiliser 236 biens au nom de cette fondation, répartis dans tout le Chili, et la vente d’une partie d’entre eux pour une valeur de près de 14,5 millions d’euros. Mais selon les journalistes qui mènent l’enquête, ce ne serait là que la pointe de l’iceberg. Combien de biens publics ont été donnés gratuitement sous la dictature à Cema Chile ? Combien ont été vendus ? Où est passé l’argent ? Des questions pour lesquelles le ministère des Biens nationaux d’une part et les députés communistes Karol Cariola et Hugo Gutierrez ainsi que l’association des familles de disparus (AFDD) d’autre part, espèrent obtenir des réponses à travers leurs plaintes en justice.

Cema Chile naît en 1954. La fondation est destinée à être dirigée par les premières dames, et son objectif est, selon ses statuts, « l’organisation, la coordination et l’exécution d’activités ayant pour finalité un meilleur bien-être matériel et spirituel des familles chiliennes, tout particulièrement orientées vers l’enfant, la femme et les foyers les plus modestes. »

Détournement de biens publics

En 1973, après le coup d’Etat mené par son mari, général en chef de l’armée de terre, Lucia Hiriart s’érige en première dame et préside la fondation. « Elle construit alors Cema Chile comme un miroir de l’armée de terre, toutes les femmes de militaires devaient participer comme bénévoles et elles occupaient des postes suivant le rang de leur époux », explique Alejandra Matus, auteure du best-seller Madame Lucia (« Doña Lucia ») au programme de télévision Informe Especial. Une fondation qui permet à la femme de poigne, d’origine française, « d’établir un système de contrôle et d’espionnage sur les femmes des quartiers pauvres », ajoute Mónica González, directrice de Ciper Chile, le journal d’investigation en ligne qui a révélé l’affaire.

LE SIÈGE SOCIAL DE CEMA CHILE, SITUÉ DANS LA COMMUNE CHIC
DE PROVIDENCIA À SANTIAGO, PERQUISITIONNÉ PUIS MIS SOUS
EMBARGO PAR LA JUSTICE.
PHOTO CLAIRE MARTIN


L’organisation devient extrêmement puissante, réunissant plus de 35 000 bénévoles et près d’un million d’adhérentes qui trouvent là des formations en pâtisserie, couture, coiffure, maquillage, artisanat... « C’est durant ces années que différents organismes d’Etat et certaines municipalités cèdent gratuitement, ou parfois pour un peso symbolique, une énorme quantité de biens, immobiliers et financiers », reprend la journaliste Mónica González.

Avant le retour à la démocratie en 1990, puis en 1998, Lucia Hiriart change les statuts de la fondation pour en rester la présidente jusqu’à sa mort. La fondation publique devient privée. « Nous avons constaté, souligne Victor Osorio, le ministre des Biens nationaux qui a déposé plainte, que dans presque aucun des centres de Cema Chile du pays il n’y a aujourd’hui d’activité sociale. La fondation caritative, à but non lucratif, s’est transformée en une entreprise immobilière. » Une entreprise qui continue même de louer des biens anciennement publics à des institutions… publiques, qui a reçu jusqu’en 2005 les apports de deux loteries nationales pour une valeur de près de 2 millions d’euros, et les donations de certaines municipalités de droite jusqu’à ces dernières années.

Des restitutions au compte-gouttes

Ce qu’on sait de la destination de l’argent, c’est que 50 000 dollars auraient servi à financer le séjour et la défense de l’ancien dictateur, alors qu’il est détenu en 1998 à Londres, sous mandat d’arrêt international lancé par le juge espagnol Baltasar Garzon. La fondation se charge aussi de payer la scolarité de certains des petits-enfants du couple Pinochet-Hiriart.
Face au scandale qui ne cesse de grossir, Lucia Hiriart a démissionné de la présidence en août dernier. Cema Chile a depuis restitué au compte-gouttes quelques bâtiments au ministère des Biens nationaux, « une manière d’obtenir des circonstances atténuantes », selon Yuri Vasqués, qui représente la députée Karol Cariola. S’il est probable que l’épouse Pinochet meurt en toute impunité, comme l’a fait avant elle son époux, ce ne sera pas en toute tranquillité : « Cette affaire poursuivra tous ceux qui y ont participé, assure l’avocat, ce qui inclut le reste de la famille Pinochet, enfants et petits-enfants. Nous ne lâcherons pas le morceau ! »