jeudi 21 avril 2016

LE CHILI ENTRAÎNÉ PAR LA CHUTE DU CUIVRE

Le cuivre, sorte de baromètre de l’économie mondiale, a tendance à monter ou descendre avant les autres métaux de base. Le fait qu’il se maintienne autour de 2,20$ en 2016 n’est donc pas de bon augure pour les producteurs de fer, de nickel ou de zinc.En novembre dernier, alors que le prix de la livre dégringolait pour une première fois sous la barre du 2,20$, le président d’une association minière du centre du pays déclarait carrément que « la majorité» des mines chiliennes opérait en-deçà du seuil de rentabilité.

La situation est-elle si critique au pays du métal rouge? « Il y a quelques mines qui ont fermé, mais c’était des petites ou moyennes entreprises », dit Enrique Calfucura, économiste au département d’économie de l’Université Diego Portales, à Santiago. « En général, la majorité des mines moyennes ou grandes peuvent encaisser un prix de 2,20$. »

Il semble effectivement que les grandes exploitations jouissent d’une marge de manœuvre appréciable : selon un rapport publié en décembre, les 19 grandes mines du pays, qui représentent 91 % de la production nationale, opéraient à un coût unitaire moyen de 1,62$ au deuxième trimestre 2015. Rien n’indique que ce coût ait augmenté depuis. « Les grandes mines opèrent à pleine capacité et font des profits, même s’ils sont nettement moindres », dit M. Calfucura. Parmi celles-ci, trois appartiennent à des sociétés canadiennes : Candelaria (Lundin Mining), Quebrada Blanca (Teck) et Zaldivar (Barrick).

Ainsi, ce ne sont pas les fermetures qui expliquent la révision à la baisse de la production pour 2015, d’abord estimée à 6 millions de tonnes pour finalement s’établir à 5,76 –une croissance anémique d’à peine 0,3 % par rapport à 2014. « De mon point de vue, ce sont les prix qui expliquent cette stagnation », croit Pablo Arancibia, directeur principal à PwC Chili. « Pourquoi gaspiller du cuivre à 2,20$ si vous pouvez attendre et le vendre à 2,50$ plus tard?»

N’empêche que cette chute de revenus fait mal au trésor public. En février, le gouvernement a dû retrancher 540$ M de ses dépenses pour 2016, l’équivalent de 1 % de son budget. Celui-ci avait d’abord été calculé sur la base d’une livre de cuivre à près de 3$, puis à 2,6$ –des scénarios bien trop optimistes.

Un horizon aride

Pour les projets, c’est pire. « N’importe quel projet avec un coût de production à 2$ ou 3$ est retiré de la table à dessein », dit M. Arancibia. « On a vu beaucoup de reports, parfois des annulations dans les deux dernières années. »

Pas plus loin qu’en décembre 2014, le gouvernement estimait pourtant à 80 milliards de dollars les investissements dans les projets de cuivre d’ici 2023, dont près de la moitié allait se matérialiser avant 2018. « La vérité maintenant, c’est que la grande majorité de ces projets ne seront pas financés ni entrepris avant 2020 », estime le spécialiste minier. Ces retards ont déjà provoqué en 2015 plus de 40 000 pertes d’emplois dans le secteur, selon l’Institut national de statistiques.

La mer à boire

La chute des prix du cuivre survient dans un contexte déjà passablement compliqué. Car si le nord du pays est riche en cuivre, il est extrêmement pauvre en eau et en énergie : deux composantes essentielles pour les producteurs.

« Il y a peu d’endroits au monde où les coûts énergétiques soient aussi élevés qu’au Chili », dit M. Arancibia. « On a un grand potentiel hydroélectrique au sud, mais les communautés s’opposent aux projets dans leur voisinage, qui souvent sont annulés. Ça compromet la consommation électrique future et donc ça affecte le calcul des coûts. »

Quant à l’eau, elle occasionne tellement de conflits dans le désert du nord que le gouvernement envisage de réformer son « code de l’eau ». « Ça pourrait signifier de garantir le droit social à l’eau pour les populations et donc plus de restrictions pour le secteur privé », croit M. Calfucura.

La solution passe par le dessalement d’eau de mer, mais celui-ci implique des dépenses en capital exorbitantes, à une époque où le financement est anémique. « Avec les prix du moment, c’est une alternative peu rentable, comparé à essayer d’acheter les droits d’eau des agriculteurs ou des municipalités », dit M. Calfucura.

M. Arancibia est plus optimiste. « Ça va bientôt cesser d’être un obstacle », croit-il. « La mise en service des usines de dessalement a occasionné un paquet de problèmes dans les cinq dernières années. On est tôt dans la courbe alors les coûts associés sont élevés. C’est un investissement qui est long à récupérer, mais une fois que les économies d’échelle vont commencer à se faire, toute l’économie du nord va se stabiliser. »