mercredi 5 août 2015

CHILI: L'ARMÉE SOMMÉE DE FAIRE LA LUMIÈRE SUR LES CRIMES DE LA DICTATURE

«Il y des gens qui connaissent la vérité sur de nombreux cas non résolus et le Chili leur demande de suivre l'exemple du soldat Fernando Guzman et d'aider à soulager toute cette douleur», a déclaré Michelle Bachelet, elle-même torturée sous la dictature et dont le père a été éliminé par le régime militaire. 

Fernando Guzmán Espíndola, ancien soldat né en 1965, a en effet créé la surprise en rompant un «pacte de silence» le liant à ses ex-collègues. 

Devant la justice, il a affirmé que toutes les déclarations faites par ses anciens compagnons et lui-même, lors de l'enquête menée après les faits, «sont des mensonges». 

Plus grave encore, il a accusé la hiérarchie militaire d'avoir fait pression sur eux pour dissimuler la vérité. 

Ce crime, survenu dans les dernières années de la dictature (1973-1990), avait suscité une indignation internationale: le photographe Rodrigo Rojas de Negri, 19 ans, exilé aux Etats-Unis, venait de rentrer au Chili et prenait des photos d'une manifestation anti-Pinochet en compagnie d'une amie étudiante de 18 ans, Carmen Gloria Quintana. 

Interpellés par des militaires, ils avaient été aspergés d'essence et brûlés vifs. 

La jeune fille, atrocement défigurée, a survécu à ses blessures et vit aujourd'hui au Canada, mais Rodrigo Rojas était mort après quatre jours d'agonie. 

L'enquête avait été clôturée initialement dans les années 1990, avec un seul militaire accusé pour négligence. Elle a été rouverte en 2013.  

Des archives officielles américaines déclassées et mises au jour vendredi ont confirmé les manoeuvres militaires et le rôle joué par le propre dictateur Augusto Pinochet pour étouffer l'affaire. 

- 'Voile d'impunité' - 

L'absence, jusque-là, d'une issue judiciaire convenable, «montre qu'il existe encore un grand voile d'impunité» sur les crimes de cette époque, explique à l'AFP l'analyste Manuel Antonio Garreton. 

«Les militaires avaient donné l'ordre de faire silence, c'est-à-dire de mentir», ajoute-t-il. 

Pour Carmen Gloria Quintana, dont 60% du corps a été brûlé, il y avait une «politique institutionnelle pour couvrir les crimes et violations des droits de l'homme commis sous la dictature». 

Aujourd'hui, ces révélations représentent, selon elle, «l'opportunité pour les forces armées de se démarquer de la dictature» et des plus de 3.200 morts et disparus attribués à cette période sinistre. 

La survivante de l'attaque s'est réunie vendredi dernier avec le ministre de la Défense José Antonio Gomez, à qui elle a réaffirmé que l'armée doit «livrer et mettre à la disposition de la justice tous les responsables». 

Pour Manuel Antonio Garreton, l'indignation suscitée par l'affaire dans l'opinion publique peut forcer l'armée à changer d'attitude. 

«Nous sommes au début d'une nouvelle étape qui devrait culminer avec la remise de toute l'information (demandée) et avec le châtiment de tous ceux qui ont été impliqués et dont l'armée doit se séparer, ainsi que des civils ayant participé à la violation des droits de l'homme», espère-t-il. 

Pour l'instant, la réponse de l'institution reste mesurée: dans une brève déclaration à la presse jeudi, l'armée a rappelé «son engagement à collaborer avec la justice, en fournissant ce qui est demandé par les tribunaux, dans tout ce qui relève de sa connaissance et de sa compétence». 

«L'armée va collaborer (en apportant) toute l'information nécessaire», a assuré le ministre de la Défense. 

Les organisations de proches de disparus sous la dictature, qui accusaient déjà depuis des années l'armée de cacher des informations, se sont également tournées vers le gouvernement, exigeant qu'il rende public le rapport, réalisé en 2004, contenant les déclarations de quelque 40.000 victimes de la torture. 

Augusto Pinochet est mort le 10 décembre 2006 sans avoir jamais été condamné.