vendredi 24 octobre 2014

AU CHILI, LA LUTTE DES INDIENS MAPUCHES POUR RÉCUPÉRER LEURS TERRES

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141 COMMUNAUTÉS ONT APPELÉ À MANIFESTER LE 1ER SEPTEMBRE À TEMUCO POUR DÉNONCER LA LENTEUR DU PROCESSUS DE RESTITUTION DES TERRES ORCHESTRÉ PAR LA CONADI. PHOTO  PAISMAPUCHE
Victime de répression policière et d’un manque de considération de l’Etat, la communauté Mapuche lutte pour la récupération de son territoire. Le conflit s’enferre chaque jour un peu plus dans la violence.


Une attaque à main armée chez un grand propriétaire, le camion d’une entreprise d’exploitation forestière incendié, une tentative de vol de bétail s’achevant en bataille rangée avec les policiers… Trois attaques en autant de jours à la fin août.

Rien d’anormal ici. En Araucanie, la violence fait partie du quotidien. Cette vaste région du centre Chili, l’une des plus pauvres du pays, est le théâtre d’un conflit multiséculaire.

Les Indiens « mapu-che » (« gens de la terre ») réclament la restitution de leurs sols et la fin de la répression dont ils font l’objet. A 700 km au nord, dire que le sujet ne passionne pas les différents pensionnaires de La Moneda, le palais présidentiel, relève de l’euphémisme. En réaction, une partie de la communauté mapuche (1) se radicalise. C’est pourquoi la région connaît une escalade de violences sans précédent.

« Depuis cinq ans, on assiste à une explosion continue du conflit et dernièrement ça se durcit sérieusement », s’alarme Luis Felipe Romero, président de l’Association des victimes de violence rurale (Avvru), opposée aux revendications de la communauté mapuche.

L’institut privé MGA, soutenu par les principales entreprises de la région, fait état d’une augmentation des violences (incendies, attentats explosifs et occupations illégales) de près de 50 % entre janvier 2010 et juin 2014. Des chiffres fournis par l’Etat lui-même. Contacté par Reporterre, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

« Nous savons que plusieurs communautés utilisent la violence comme moyen de pression. Aujourd’hui, 153 personnes bénéficient de la protection personnelle offerte par l’Etat. Sans cela, la situation serait encore pire », poursuit M. Romero, qui est avocat. Cet homme au costume bleu cobalt assure la défense d’environ 1 200 personnes. Parmi elles, se trouvent des transporteurs, ingénieurs, machinistes agricoles ou encore grands propriétaires terriens.

Rendre la terre prise à la communauté mapuche ? Il n’en est pas question, pour Luis Felipe Romero. « Ce qui se passerait : une baisse importante de la productivité et un appauvrissement de la région. Personne n’en veut. Et puis, que va-t-on faire des personnes installées ici depuis plusieurs générations ? Le droit de propriété existe. Le Mapuche se pensent au-dessus de la loi en effectuant cette demande. »


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- LUIS FELIPE ROMERO. -

Terres usurpées

Pour l’historien chilien Martin Correa, la situation est bien plus nuancée : « Les colons ont reçu des terres qui ont été prises aux Mapuches ». À la fin du XIXe siècle, l’État chilien a en effet proposé aux Européens en quête d’exil – Allemands et Suisses, principalement – de peupler les cinq millions d’hectares « vides » de l’Araucanie.

Au préalable, la guerre dite de « Pacification » (1861-1883) avait achevé d’écraser les foyers de la résistance mapuche, alors territoire indépendant. Les autochtones ont donc dû se contenter des miettes laissées par l’Etat central, le plus souvent dans des conditions de pauvreté extrême.

Afin de trouver une alternative au conflit, le gouvernement avait opté en 1993 pour la création d’une instance de médiation. La Corporation nationale pour le développement des indigènes (Conadi) devait jouer les intermédiaires dans la vente de terres entre les deux parties.

La Conadi nous assure que depuis 1994, 278.000 hectares ont été restituées dans l’ensemble du pays, dont 16.000 en Araucanie. Une goutte d’eau au regard de l’usurpation effectuée cent ans auparavant.

Une instance de médiation corrompue

Figure incontournable, l’institution se voit aujourd’hui critiquée pour la lenteur du processus d’acquisition des surfaces foncières. Sans oublier le coût, jugé prohibitif, de revente des terres aux paysans mapuches. 141 communautés ont manifesté le 1er septembre dans les rues de Temuco pour dénoncer les lourdeurs bureaucratiques de la Corporation.

Pour ne rien arranger, la Conadi se serait convertie en véritable panier de crabes. Un système de corruption généralisée y aurait été organisé jusqu’à son plus haut sommet. Une enquête a été ouverte, fin mai, pour fraudes et trafic d’influence. Les faits se seraient déroulés entre 2011 et 2013, sous la mandature du président Sebastián Piñera.

Le retour de Michelle Bachelet aux commandes du pays, en mars dernier, n’a pas sorti la région de l’impasse. Son inaction constitue un moindre mal selon certains dirigeants mapuches. Le premier passage de l’unique présidente de gauche depuis le retrait du pouvoir du général Pinochet (1973-1990) leur avait laissé un goût amer.

A l’époque (2006-2010), la socialiste avait contribué à la détérioration de la situation poursuivant la politique répressive des gouvernements précédents. A ce sujet, Santiago avait été dans le collimateur de plusieurs instances internationales pour « criminalisation » du mouvement indigène. Fin juillet, la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme a condamné l’utilisation de la loi antiterroriste à l’encontre de plusieurs prisonniers mapuches. La sentence n’a pourtant pas atténué le harcèlement policier.

Le déploiement des forces de l’ordre est à la hauteur des enjeux financiers présents sur ce territoire. L’industrie forestière, hydroélectrique, thermoélectrique sans oublier l’agriculture intensive constituent les piliers de l’économie locale. Pas question pour ses détenteurs de modifier l’équilibre en vigueur.

La situation « risque d’exploser »

« On est envahis d’entreprises nationales et transnationales ici. Ils occupent nos terres, les polluent, dégradent l’environnement et nous devons nous taire ? », s’insurge de son côté José Santos Millao.

Depuis les hauteurs de la commune de Purén, au nord de l’Araucanie, ce révolutionnaire autoproclamé se souvient avoir vu débarquer l’industrie forestière aux portes de sa communauté. Le paysage écorché porte les plaies de cette activité.

- JOSÉ SANTOS MILLAO.-

«La faune et la flore s’appauvrissent. Le remplacement de nos forêts millénaires par la monoculture d’eucalyptus et de pins assèche nos terres. Nos enfants n’ont plus de moyen pour subsister et doivent partir. »

Béret vissé sur sa crinière noir corbeau, José Santos Millao appuie toute forme de récupération du sol. Comme nombre de dirigeants radicaux, il soutient les familles bien décidées à s’installer sur des terres appartenant auparavant à leur communauté. Ces actions de « reconquête » provoquent le plus souvent des affrontements. Mais la « reconquête » n’est qu’une riposte, dit l’intéressé.

« Ce sont eux les agresseurs. Le moins que l’on puisse faire, c’est de vivre debout, avec nos convictions. » Quitte à s’enfoncer toujours plus dans la violence. « La situation risque d’exploser bientôt en se généralisant. Nous ne reculerons plus », ajoute cet ancien prisonnier politique durant la dictature de Pinochet.

Sur le chemin de l’autodétermination

À l’image d’Aucán Huilcamán, d’autres leaders proposent d’aller au-delà d’une simple reprise foncière. Le porte-parole du Conseil de toutes les terres plaide pour l’autodétermination de son peuple. « Nous souhaitons installer un gouvernement en accord avec le droit international, relatif aux situations postcoloniales », assure-t-il.

- COMME AUCÁN HUILCAMÁN. - 

M. Huilcamán, qui a été candidat à la présidentielle chilienne de 2006, espère mener à bien son projet d’ici les cinq prochaines années. A entendre cet ancien collaborateur des Nations unies, la dynamique est déjà enclenchée. Il affirme avoir débuté les discussions avec La Moneda et le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères.

« On travaille à la sensibilisation de la communauté pour que bientôt nous puissions nous doter d’un statut à part et d’un système politique nous permettant de décider du futur de chaque Mapuche.»

Intégration ou tradition ? Légalisme ou autodétermination ? Caillou dans la chaussure du Mapuche, la communauté ne dispose pas d’instance représentative à même de porter d’une même voix un seul et unique message. Sans projet commun ni capacité à dialoguer, la situation devrait encore perdurer.

Note

(1) Le nombre de Mapuches est estimé à environ 1,5 million de personnes sur une population de 17,5 millions de Chiliens. Cette communauté constitue 87 % des huit peuples indigènes du pays. Il existe également des Argentins mapuches.

Source : Alan Loquet pour Reporterre