mercredi 6 mars 2013

LARMES À GAUCHE

JAMES EARL CARTER, JR., DIT JIMMY CARTER (NÉ LE 1ER OCTOBRE 1924)  LE TRENTE-NEUVIÈME PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS, DE 1977 À 1981. .JIMMY CARTER A DÉCLARÉ EN 2012: « SUR LES 92 ÉLECTIONS DONT NOUS AVONS SURVEILLÉ LE DÉROULEMENT, JE DIRAIS QUE LE PROCESSUS ÉLECTORAL DU VENEZUELA EST LE MEILLEUR DU MONDE » 

Réformer en profondeur

Il crée un parti nationaliste de gauche, le Mouvement Cinquième République et, divorcé de Nancy, épouse en 1997 une journaliste, Marisabel Rodriguez (dont il divorcera en 2004). Le 6 décembre 1998, il est élu Président avec 56 % des voix, à l’issue d’une campagne le présentant comme « le fléau de l’oligarchie et le héros des pauvres » .

Mais diriger l’Etat ne lui suffit pas : il veut réformer le pays. Pour ça, il faut une nouvelle Constitution, donc une nouvelle assemblée législative; pour l’obtenir, il met en jeu sa présidence et gagne sur toute la ligne : référendum pour tenir de nouvelles législatives («oui»  à 92 %); assemblée constituante majoritairement «chaviste» ; référendum sur la nouvelle Constitution (« oui»  à 72 %); présidentielle de 2000 (59,5 %).

Sa politique en faveur des pauvres (notamment la nationalisation et redistribution de latifundios pas ou peu exploités et dont le titre de propriété est douteux, ce qui n’est pas exceptionnel dans un pays longtemps mené par la corruption) lui aliène l’élite vénézuélienne et son activisme « anti-impérialiste »  en fait la bête noire des Etats-Unis. Ces deux forces anti-Chavez se rejoignent à l’occasion de l’effondrement des prix pétroliers qui suit les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York. Alors que le patronat vénézuélien et certains syndicats de l’industrie pétrolière entretiennent la protestation contre les mesures en faveur des pauvres, Chavez met à la porte les patrons de la Compagnie nationale des pétroles, en avril 2002; patronat et syndicats du pétrole appellent à la grève. Une manifestation de protestation réunissant 200 000 personnes, qui doit marcher sur le siège de la compagnie pétrolière, est déviée contre le palais présidentiel, où contre-manifestent des pro-Chavez. Affrontements mortels. Le chef d’état-major et des officiers demandent la démission de Chavez et menacent d’attaquer le palais et ses partisans. Chavez n’imite pas Allende; il se rend et est détenu dans une base militaire.

Le chef du patronat prend le pouvoir, destitue les députés et les maires élus depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez, les membres du Tribunal suprême, du ministère public, de la Cour des comptes et du Conseil électoral. Mais les habitants des quartiers pauvres de Caracas ne veulent pas d’un retour au statu quo ante; ils descendent dans la rue, poussant des militaires loyalistes à résister au coup d’Etat. Deux jours après le putsch - soutenu par des officiers américains à Caracas et l’ambassadeur d’Espagne - Chavez est de retour au palais de Miraflores et appelle la nation au calme en brandissant un crucifix.

Deux ans plus tard, il gagne un référendum convoqué pour le révoquer (pratique qu’il a introduite) par 58 % des votants contre sa destitution. Puis la présidentielle de 2006 par 63 %. Son seul échec électoral date de 2007 : un référendum sur une série de réformes constitutionnelles, dont la possibilité qu’un Président effectue plus de deux mandats. Cette réforme sera cependant proposée seule à un référendum en 2009 et adoptée. En octobre 2012, Chavez est réélu avec 55 % des votes.

S’il maintient une majorité malgré l’intense propagande hostile de l’élite vénézuélienne et des Etats-Unis, ce n’est pas par la fraude; Jimmy Carter a déclaré en 2012 : « Sur les 92 élections dont nous avons surveillé le déroulement, je dirais que le processus électoral du Venezuela est le meilleur du monde » . Chavez a la majorité des votes parce que la majorité des Vénézuéliens sont pauvres et approuvent sa politique.

L’ex-parachutiste a en effet profondément bouleversé le statu quo en faveur des riches, en vigueur jusque-là. Alors que 70 % des Vénézuéliens n’avaient pas accès aux soins, il a créé un système de santé servant aussi les pauvres et ajouté plus d’un an à l’espérance de vie de ses compatriotes. Diminué de moitié le nombre de pauvres et fait passer le chômage de 15 % à 6,5 %. Construit 200 000 logements modestes avec la main-d’œuvre gratuite des bénéficiaires. Multiplié le nombre de jeunes ayant accès à l’université et éradiqué l’analphabétisme, constate l’Unesco. Il a mis en place des microcrédits pour développer les PME. Imposé une majorité de l’Etat dans les entreprises des secteurs stratégiques de l’économie. Créé une banque de semences et interdit la pêche intensive pour préserver les ressources. Le tout financé par les revenus du pétrole, qui n’avaient jamais, jusque-là, enrichi que l’élite.

Et s’il est la figure de proue de la gauche latino-américaine, c’est qu’il a mis en pratique le credo de Bolivar. Il fournit en pétrole, à prix réduit, une douzaine de pays pauvres du continent (et d’ailleurs) dirigés par des gouvernements de gauche ou centre-gauche, pourvu que ceux-ci investissent le gain dans le développement.

Pied de nez aux Etats-Unis

Chavez a été le moteur d’institutions destinées à mettre l’Amérique latine à l’abri de la longue tutelle de Washington : l’ALBA (Alternance bolivarienne des Amériques) qui contrecarre le projet de Zone de libre-échange des Etats-Unis; le Bancosur, qui se veut une alternative au « cartel »  des institutions financières de Bretton Woods qui ont, dans les années 90 et 2000, imposé des politiques d’austérité et de privatisation désastreuses (exportation massive des bénéfices privatisés, émeutes de la faim, etc). La Celac (Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes - 33 pays) dont le président est, en 2013, le chef d’Etat cubain Raul Castro - véritable pied de nez aux Etats-Unis. Enfin, il étudie, avec le Brésil, la création d’une « OTAN du Sud »  et diversifie ses fournisseurs d’armes pour desserrer l’étau de Washington, qui demeure son principal partenaire commercial.

Au passif de Chavez, on peut mettre son sous-investissement dans l’industrie pétrolière et son absence de diversification de l’économie, très dépendante de l’or noir. Ses alliances douteuses avec des régimes (l’Iran des ayatollahs, Khadafi, la Syrie) qui n’ont de commun avec Caracas que l’hostilité aux Etats-Unis. Son absence de répression des abus commis par ses militants dans la lutte contre leurs adversaires politiques. Sa complaisance à l’égard de la guérilla colombienne FARC. L’accroissement du banditisme, notamment lié au trafic de drogue, depuis qu’il est au pouvoir. L’instauration d’organes parallèles, les « cercles bolivariens » , doublant les institutions officielles. L’usage récurrent des pouvoirs spéciaux que lui octroie sa majorité parlementaire.

Hugo Chavez rejoindra certainement le panthéon des dirigeants politiques qui ont marqué leur époque. Reste à savoir si le chavisme survivra à son décès : l’homme a beaucoup personnalisé son pouvoir; sa politique résistera-t-elle à la disparition de la magie du «  llanero »  ?