mardi 10 juillet 2012

AU CHILI, L’ÉCOLOGIE FAIT GRISE MINE

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CANQUENES « ISLA RIESCO »,  L'OUETTE À TÊTE ROUSSE (CHLOEPHAGA RUBIDICEPS) EST UNE ESPÈCE DE LA FAMILLE DES ANATIDAE, C'EST UN MEMBRE DE LA SOUS-FAMILLE DES TADORNINAE. PHOTO JOSÉ DE PABLO CHEZ FLICKR

« Résignés ». Sur une clôture de sa ferme, l’estancia Anita Beatriz, face à la seule route de l’île, devenue très fréquentée, une immense banderole : « Non à la mégamine de charbon de l’île Riesco .» Le projet chilien, d’un coût de 530 millions de dollars (430 millions d’euros), lancé par le puissant groupe distributeur de combustibles Copec et la compagnie maritime Ultramar, a été autorisé en août 2010 par les autorités, malgré une opposition soutenue dans le pays. « Parmi les habitants de l’île Riesco [entre 50 et 150, selon les estimations, ndlr], beaucoup se sont résignés à ce que leur vie ne soit plus jamais comme avant, commente le jeune éleveur, qui vit sans télé, radio ou téléphone portable. Certains ont aussi fini par y trouver leur intérêt. »



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« AVEC LE CHARBON, CERTAINS GAGNENT, TANDIS QUE TOUT CHILI PERD ». 
DU SITE WEB CHILIEN « ALERTA ISLA RIESCO » 

Et pour cause. La mine devrait fournir 6 millions de tonnes de charbon par an pendant douze ans, soit l’équivalent de 30% de la consommation de charbon du pays, importé aujourd’hui à 96%, principalement de Colombie. Un argument qui a fait mouche politiquement : cette mine, la première d’une série de quatre - qui seront exploitées, l’une après l’autre, pendant plus de cinquante ans, selon Copec - garantira davantage d’indépendance énergétique à plus bas prix à un pays dont 72% de la consommation repose sur des énergies fossiles importées (pétrole, gaz, charbon). « Ce que le gouvernement a éludé, souligne le journaliste Raúl Sohr, auteur d’un essai sur la question, c’est que ce type de projet hisse le Chili juste derrière la Chine, en tonnes de gaz à effet de serre émises par habitant. »


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Si la direction de la mine Invierno assure réduire l’impact sur l’environnement grâce au recouvrement et à la reforestation d’une partie du trou de 500 hectares qu’elle creuse, les risques de pollution restent élevés, selon ses détracteurs. La réserve naturelle Alakalufes (1), complètement vierge, occupe les deux tiers de l’île, abritant la plus grande colonie de huemuls, petit cerf de Patagonie en voie de disparition. Dans la mer intérieure du Seno Otway et le parc marin Francisco Coloane qui longent l’île s’ébrouent 10 000 manchots de Magellan, des dauphins, des éléphants et loups de mer, ainsi que des baleines à bosse. Outre les 1 500 hectares sur lesquelles s’installe la mine, asséchant lagunes et zones humides et abattant 400 hectares de forêts, la région entière risque d’être affectée. « Entre septembre et mars, les vents peuvent atteindre 120 km/h, indique le climatologue Nicolás Butorovic. Les particules en suspension pourraient toucher Punta Arenas. Si les effets sont imperceptibles au début, à long terme, ils sont nocifs, provoquant problèmes respiratoires, pollution des eaux et des sols. » Le charbon de Riesco contient aussi des métaux lourds toxiques. « Certains des échantillons présentent des concentrations en mercure très élevées, souligne Alex Muñoz de l’ONG Oceana. Or, quand on le brûle, le gaz libéré peut provoquer des problèmes neurologiques, des malformations de fœtus, des problèmes de reproduction. »



Des risques qui n’ont pas été évalués. « Aucune étude sérieuse n’a été exigée de la mine, souligne Juan Capella, biologiste spécialiste des mammifères marins. Les fonctionnaires chargés de faire respecter les normes environnementales ne sont pas corrompus, ils sont juste ignorants. »

« Collision ». Après extraction, le charbon sera transporté vers le nord du Chili sur des navires de 400 mètres de long. « Au sortir de l’île, reprend Capella, ces bateaux circuleront par des canaux très étroits. Le risque d’accident ou de collision avec des baleines est très élevé. »



Alors que le pays présente un des plus gros potentiels de la planète pour développer les énergies renouvelables, la politique énergétique des autorités est de plus en plus contestée par les Chiliens, qui paient leur électricité le double de leurs voisins. Le député de gauche Enrique Accorsi dénonce des intérêts personnels : « Le président de droite, Sebastián Piñera, est un des plus gros actionnaires individuels de Copec, propriétaire à 50% de la mine Invierno. » Un combat inégal entre la préservation des ressources et leur exploitation à tout-va.

(1) Nom des indigènes disparus qui peuplaient la région.