jeudi 9 février 2012

SERGIO LARRAÍN DANS UN LONG SILENCE

Circulaient mille anecdotes sur ce Chilien énigmatique, célèbre auteur de Petites Filles descendant l’escalier (photo ci-contre), l’une de ses premières photographies ravies à Valparaíso, dans un élan d’une totale étrangeté où s’entrelacent, dans le même cadre, apparition et disparition. En 1965, ce Valparaíso fabuleux sera publié dans la revue suisse DU, accompagnée d’un texte de son ami Pablo Neruda, ondulant dans le port, «navire échoué mais vivant».
LES ENFANTS DU RÍO MAPOCHO. PHOTO SERGIO LARRAÍN
Fragilité. Né en 1931 à Santiago, ce fils de bonne famille, d’abord tenté par la sylviculture puis la musique, trouve sa voie avec la photographie. Achat d’un Leica, en 1949, qui lui ouvre les portes d’une réalité inconnue et pourtant très proche. Valparaíso, donc, parcourue nuit et jour, en quête de cet «état de grâce» susceptible de faire naître «une bonne image». Et Santiago, dont il extrait les enfants des rues, ceux qui se réfugient sous les ponts, près du Río Mapocho.

C’est, pour la photo, une manière de créer, autour du dénuement et de la fragilité, une esthétique centrée sur la dynamique de l’homme et la puissance des ombres. A l’image du titre de son livre-culte, El Rectángulo en la Mano, publié en 1963 (1), et qui révèle, dans un jeu de cartomancie entre pages blanches et photos noires, le désir de Larraín de «solidifier un monde de fantômes».

Avant de choisir le silence, Sergio Larraín parcourt une partie de l’Europe, Londres et Paris. Londres saisi dans sa verticalité, comme s’il était allongé sur le bitume, à plat ventre, et où il croise, à Trafalgar Square, son confrère David Hurn, totalement subjugué : «La théorie de Larraín était qu’on pouvait dire si un photographe était bon ou pas, en le regardant travailler, simplement à son attitude et à sa façon de faire.»

Et Paris, où il rencontre Henri Cartier-Bresson, l’un des modèles et l’un des patrons de l’agence Magnum, où le Chilien entrera en 1961. C’est aussi à Paris, près de Notre-Dame, que Sergio Larraín aurait photographié, par hasard, un couple enlacé, escorté d’un inconnu. Triangle amoureux qui aurait inspiré Julio Cortázar pour Las Babas del Diablo, et, plus tard, le légendaire Blow Up d’Antonioni.

Mystique. Dans son livre édité par Images en manœuvres, Horacio Fernández donne son point de vue (l’histoire est trop jolie !), tout en soulignant combien Larraín est un personnage romanesque. «Il a tout l’air du photographe accidentel. Il a tout l’air du photographe joueur. Il a tout l’air de l’enfant chilien déchaîné.» C’est «le touriste parfait», insiste Roberto Bolaño, auteur des Détectives sauvages.

El Fotógrafo de Dios, écrira Marcelo Simonetti de son côté, ajoutant d’autres légendes, telle l’entrée en scène de la mafia pour élucider le retrait mystique de Larraín…

Sergio Larraín sera enterré aujourd’hui à Tulahuén, non loin d’Ovalle, selon son désir.

(1) Livre que l’on peut voir actuellement dans l’exposition du Bal, à Paris, sur les livres de photographie latino-américains. Rens. : www.le-bal.fr