vendredi 10 décembre 2010

LA SOIF DE JUSTICE DE PROCHES D'UN FRANÇAIS DISPARU

Frêle jeune femme blonde, Vanessa Klein s'avance à la barre d'un pas incertain, comme sous le poids de sa propre histoire.

Elle avait à peine plus d'un an, le 11 septembre 1973, jour du coup d'Etat militaire au Chili contre le président Salvador Allende et de l'arrestation de son père à Santiago.

« Ce matin-là, mon père et ma mère ont pris leur petit-déjeuner ensemble, puis mon père est parti pour La Moneda (palais présidentiel, ndlr). Il a appelé ma mère un peu plus tard pour lui dire que les lignes allaient être coupées, que ça n'allait pas très bien et qu'il fallait aller se réfugier chez mes grands-parents », raconte cette psychologue, la voix tremblante.
Quelques instants plus tard, les chefs de l'armée chilienne, dont le général Augusto Pinochet, donnent l'assaut à la Moneda.

« Georges Klein est resté dans le dernier carré des fidèles, aux côtés du président Allende. Lorsque ce dernier s'est suicidé, il a été arrêté avec les autres collaborateurs du président », se souvient Isabelle Ropert dont la mère a vécu ces événements.
Sur un écran de la salle d'audience apparaît la dernière image connue de Georges Klein, issu d'une famille juive autrichienne, né en France en 1945 et arrivé au Chili à l'âge de huit ans: on le découvre aux côtés des autres proches d'Allende arrêtés ce matin-là, mains sur la tête, face à un mur. Des hommes en uniforme pointent leurs fusils sur le groupe.
Quelques mois après la disparition de son père, de vaines recherches et des menaces, Vanessa et sa mère quittent le Chili pour le Brésil, pays d'origine de cette dernière.
La petite fille forge son expression à elle pour parler de cette figure évanouie: "je disais +c'est un mort-disparu+".
Les années passent. Pour Mme Klein, fragile depuis la disparition de son mari, alternent périodes d'apaisement et moments de crise, « car j'ai compris qu'elle continue toujours d'attendre mon père », confie sa fille. Pour Vanessa, c'est un premier voyage au Chili, à 18 ans, et la découverte sur place, bribes par bribes, de l'histoire de cet homme « intelligent, charismatique, charmeur et charmant », qu'elle a si peu connu.
« C'était un intellectuel brillant et un sportif accompli », témoigne à son tour René Bendit, ami d'enfance de Georges et compagnon des années militantes.
L'espace d'un instant, le disparu s'incarne; la salle découvre des clichés de Georges Klein adolescent, à une fête étudiante, puis jeune marié, aux côtés de sa femme.
« Beaucoup de gens me demandent ce que j'attends de ce procès, mes amis ont du mal à comprendre », explique Vanessa Klein.
Pourtant, ajoute-t-elle, « une décision judiciaire qui établisse qu'il s'agit bien d'un crime est essentielle. Pour ma vie, pour mon histoire, pour que je puisse le transmettre à mes deux enfants ».
« On ne peut pas juste dire, +c'est de l'histoire ancienne, il faut aller de l'avant+. Oui, je veux aller de l'avant, mais il faut que les choses soient écrites pour que cela ne disparaisse pas de notre histoire et de nos vies ».
Trois anciens hauts gradés chiliens sont poursuivis pour la disparition de Georges Klein. Ils sont jugés en leur absence jusqu'au 17 décembre aux côtés de onze autres militaires mis en cause dans la disparition de trois autres Français ou Franco-Chiliens durant la dictature du général Pinochet (1973-1990).