samedi 3 juillet 2010

Les narcotrafiquants en mettent plein la vue

La justice formalise l'existence de l'association de malfaiteurs du clan Cavieres, surnommés les « Carejarro ». Photo Jaime Bascur
par Ana María Sanhueza
Le 22 mars, lors de l’ouverture du procès des Carejarro, une grosse chaîne en or – tenant à peine dans une seule main et comportant un pendentif représentant les visages de trois enfants – figurait parmi les centaines de pièces à conviction présentées par le ministère public. Le but était de prouver qu’Alejandro Cavieres Alarcón, alias Cabezón [Grosse tête], avait acheté ces biens avec de l’argent provenant du trafic de drogue. L’énorme collier, d’une valeur de 8 millions de dollars [6,5 millions d’euros], n’était qu’un petit échantillon de la collection de bijoux que Cavieres et sa femme, Clara de las Nieves Tobar, s’étaient offerts jusqu’à leur arrestation, en juin 2008. Un kilo d’or en chaînes, bracelets, anneaux et boucles d’oreilles. Voilà ce qu’a trouvé la brigade des stupéfiants de la PDI [police judiciaire chilienne] lors du coup de filet dans leur résidence, dans la commune de banlieue de La Victoria. Au total, 25 millions de dollars [20,5 mil lions d’euros] en bijoux. Ce sont des modèles extravagants, comme ceux appréciés par Marcelo Gaete Bolados, chef de l’autre bande, le clan Gaete.
L’ostentation est toujours un élément important dans les enquêtes sur les trafiquants de drogue”, explique le procureur Héctor Barros, qui a enquêté sur ces deux bandes. Il estime que les Carejarro avaient amassé avec leur “commerce” de quoi investir dans des véhicules, des propriétés immobilières, des chevaux de course et d’autres biens. Leur opulence était telle que, peu avant l’arrestation des 22 membres de la bande, Alejandro Cavieres avait invité une grande partie du groupe, plus quelques voisins, à des vacances de luxe : un mois tous frais payés sur la Route australe [qui traverse le Chili du nord au sud]. D’après les enquêteurs, ce périple dans le sud avait coûté près de 52 millions [42 millions d’euros].
La mode est d’installer un énorme jacuzzi
Les narcotrafiquants sont coutumiers de ce genre de voyages à l’intérieur des frontières. La plupart ne peuvent en effet quitter le pays sans se faire arrêter à l’aéroport à cause de telle ou telle procédure en cours. Avant d’être interpellés, en novembre 2009, en possession de 200 kilos de drogue d’une valeur de 573 millions de dollars [470 millions d’euros], les Cipriano étaient partis deux mois en vacances à Carthagène, entourés d’invités. Une générosité que la police considère comme un calcul stratégique. Selon le commissaire de la brigade des stupéfiants de la PDI, Harold McCay, “c’est une manière pour eux de tisser des liens avec les citoyens lambda”. Le 11 avril 2008, le chef du clan des Gaete fit une entrée tonitruante dans le restaurant El Novillero, accompagné d’une femme en pantalon et en veste de cuir noir. Entouré de trois gardes du corps, il était en costume, le veston sur les épaules et, selon des témoins, arborant une épingle de cravate en or en forme de pistolet. Il était minuit et plus de cent invités l’attendaient. Quelques jours plus tôt, depuis la prison de Los Andes, où il venait de purger une peine de dix ans, il avait rédigé pour ses proches la lettre suivante : “Marcelo Gaete Bolados a le plaisir d’inviter Monsieur ou Madame afin de fêter avec sa famille et ses amis sa liberté enfin retrouvée. Le soussigné vous remercie par avance de votre présence, qui nous permettra de passer ensemble quelques moments agréables.” Cette nuit-là, Gaete avait déboursé 5,1 millions de dollars en espèces.
Les trafiquants actuels n’ont plus du tout le même profil que ceux d’autrefois, explique le procureur Barros. Leurs aînés étaient respectueux, ils ne mélangeaient pas violence et trafic de drogue, ils n’étalaient pas leurs richesses. En revanche, ceux d’aujourd’hui acquièrent des biens, ils consomment à outrance, ils montrent ce qu’ils possèdent. Et, pour maintenir leur trafic, ils recourent à la violence s’il le faut.
L’un des signes distinctifs de plusieurs trafiquants de drogue locaux est ainsi d’agrandir exagérément leurs salles de bains, de décorer leurs sols et leurs murs de céramique jaspée noir et blanc et d’installer un énorme jacuzzi dans leur maison, même s’il reste peu d’espace. Quant à Pablo Escobar, le plus important trafiquant de Colombie, qui avait réussi à héberger 190 espèces animales dans le zoo qu’il avait fait aménager en 1982 pour son fils, a lui aussi fait quelques émules au Chili. Lors de l’arrestation d’Oscar Gálvez Calderón, en 2005, la police avait saisi plusieurs animaux sur sa parcelle de Buin [commune du grand Santiago] : un cerf, un alpaga noir, un percheron blanc, qui est aujourd’hui au zoo de Buin. Quatre ans plus tard, Ricardo Medel était arrêté pour trafic de drogue. Sur le terrain qu’il louait à Pudahuel [autre commune du grand Santiago], il s’était constitué un minijardin zoologique avec des paons, des lévriers, des vaches, un poney et des chevaux.