dimanche 14 février 2010

La crise favorise l'alternance politique en Amérique latine

Les Costaricains ont innové néanmoins en accordant une large victoire à la sociale-démocrate Laura Chinchilla, qui rejoint ainsi le petit club des femmes présidentes. Mais à l'échelle régionale, l'alternance qui s'est produite au Chili, avec la victoire, le 17 janvier, deSebastian Piñera, le candidat de la droite, marque plus les esprits que le Costa Rica.
Le gouverneur social-démocrate de l'Etat de Sao Paulo, José Serra, a dû analyser les résultats de la présidentielle au Chili avec des sentiments mélangés. Comme beaucoup de Brésiliens de gauche, il a passé une partie de ses années d'exil à Santiago, jusqu'au coup d'Etat du général Pinochet et il penchait probablement pour le candidat de centre gauche, Eduardo Frei. En même temps, il y aura vu le signe que l'alternance chilienne est de bon augure pour l'opposition au Brésil.
Candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, opposition), M. Serra figure en tête des sondages en vue de l'élection présidentielle d'octobre, avec un net avantage sur la ministre Dilma Rousseff, que le président Luiz Inacio Lula da Silva a choisie pour lui succéder. Président de gauche, Lula mise sur la féminisation, qui a réussi à la Chilienne Michelle Bachelet, à l'Argentine Cristina Kirchner et à la Costaricaine Laura Chinchilla.
Il n'y a aucune "contamination" entre les électorats des différents pays d'Amérique latine. Chaque nation évolue au gré de ses propres circonstances. Mais l'impact de la victoire de M. Piñera sera sensible dans les scrutins prévus dans la région. D'autant que les succès économiques et sociaux du Chili, qui vient d'entrer à l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), en font une référence plus forte que le Costa Rica.
L'alternance chilienne stimule les opposants qui se présenteront aux élections en Colombie (30 mai), au Venezuela (26 septembre) et au Brésil (3 octobre). Entre 2009 et 2012, la région connaîtra dix-huit scrutins présidentiels, outre des législatives décisives. Lors de la vague électorale des années 2005-2006, les urnes avaient conforté un virage à gauche ou favorisé le centre gauche. Les scrutins à venir pourraient, cette fois, leur être défavorables. La carte politique de l'Amérique latine devrait en sortir modifiée.
La crise économique mondiale de 2008 a eu des répercussions inégales en Amérique latine, mais elle a d'ores et déjà favorisé l'alternance au Salvador, au Panama, au Honduras et au Chili. Elle a privé de majorité parlementaire les présidents du Mexique et de l'Argentine. Et elle a provoqué la mise en ballottage du candidat de la coalition gouvernementale en Uruguay. Les présidents de l'Equateur et de la Bolivie ont été réélus, mais la tendance prédominante est bien celle d'un changement des équipes au pouvoir.
En 2009, la gauche a enregistré quatre victoires. Au Salvador, l'ancienne guérilla, le Front Farabundo-Marti de libération nationale (FMLN), a accédé à la présidence avec Mauricio Funes, tandis qu'en Uruguay, José Mujica, ancien guérillero tupamaro, prend ses fonctions de chef de l'Etat le 1er mars. Les présidents de l'Equateur, Rafael Correa, et de la Bolivie, Evo Morales, ont été confortablement réélus.
En revanche, au Panama, au Honduras et au Chili, l'alternance a été favorable à la droite. Et au Mexique, le Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche) s'est effondré, surpassé par la formation dont il est issu, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), l'ancien parti hégémonique, qui effectue un retour en force.
Le Chili montre que la popularité du chef de l'Etat sortant - 80 % pour la Chilienne Michelle Bachelet comme pour le président brésilien - ne se transmet pas au candidat qu'il soutient. Autre leçon chilienne, les élections se jouent au centre de l'échiquier politique. M. Piñera l'a emporté, car il a convaincu une majorité d'électeurs qu'il gouvernerait au centre droit, sans ramener au pouvoir la droite conservatrice des années 1950, et encore moins les années de plomb de la dictature du général Pinochet. Au lieu de remettre en cause l'héritage laissé par le centre gauche, il a critiqué l'usure de la coalition qui gouvernait depuis vingt ans. Il s'est engagé à faire mieux, sans remettre en cause les acquis de la transition démocratique.
Selon les sondages réalisés dans 18 pays d'Amérique latine, par l'Institut Latinobarometro, basé à Santiago, les électeurs centristes sont plus nombreux (42 %) que le total des électeurs de gauche (17 %) et de droite (22%). L'électorat attend des réponses pragmatiques à ses préoccupations en matière de sécurité publique, d'emploi, de niveau de vie, de santé et d'éducation.
S'il n'y a pas de virage à droite à l'échelle de l'Amérique latine, l'alternance au Chili est une mauvaise nouvelle pour les partisans de Lula ou ceux d'Hugo Chavez. Le président vénézuélien va affronter son opposition aux législatives en septembre. Il en est de même pour le "couple présidentiel" argentin, Cristina et Nestor Kirchner, au plus bas dans les sondages.

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Paulo Antonio Paranagua (Service International)