lundi 18 janvier 2010

Le Chili vire à droite avec l'élection de Sebastian Piñera

Le dernier président de droite avait été Jorge Alessandri (1958-1964). A nouveau candidat en 1970, il avait été battu par le socialiste Salvador Allende, renversé par le coup d'Etat du général Augusto Pinochet en 1973.

A la tête de la "Coalition pour le changement", regroupant le parti Rénovation nationale et l'Union démocratique indépendante, une formation conservatrice qui a soutenu le régime militaire, M. Piñera succédera le 11 mars, pour un mandat de quatre ans, à la présidente socialiste Michelle Bachelet, qui l'avait battu en 2006 au second tour.

"Viennent des temps meilleurs pour le Chili", a lancé, avec un sourire éclatant, le président élu à des milliers de partisans qui ont fêté leur victoire, dimanche soir, brandissant des drapeaux frappés d'une étoile, symbole de campagne de M. Piñera, dans plusieurs villes du Chili, notamment à Santiago, la capitale et dans le nord et le sud du pays, où le candidat de droite l'a largement emporté.

"J'ai voté pour Piñera pour voir s'il ferait mieux que les autres", expliquait dans la foule, à Santiago, une jeune institutrice : "S'il échoue, dans quatre ans Michelle Bachelet reviendra !" La présidente termine son mandat avec près de 80 % de popularité, mais la Constitution ne l'autorisait pas à briguer un second mandat consécutif.

"CONVOQUER UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE CHILIENS"

Reconnaissant "ce qu'avait fait la Concertation ces dernières années", M. Piñera a promis "un gouvernement d'unité nationale pour faire tomber les murs qui divisent le Chili". "Je vais gouverner pour tous les Chiliens, avec une attention particulière pour la classe moyenne et les plus défavorisés", a-t-il affirmé, promettant l'élargissement des programmes sociaux et la création d'un million d'emplois. Il a également insisté sur la lutte contre la délinquance et les trafiquants de drogue.

M. Frei a reconnu sa défaite avant la fin du décompte des suffrages et félicité son rival. En présence des anciens présidents Patricio Aylwin, démocrate-chrétien, et Ricardo Lagos, socialiste, il a lancé un appel à "l'unité" de la Concertation. Quelques heures plus tard, les deux rivaux sont apparus, flanqués de leur famille respective, faisant l'éloge de "la solidité de la démocratie chilienne".

M. Piñera a vanté l'alternance et dénoncé une Concertation "usée, épuisée". Il s'est affiché comme le représentant d'une droite modérée, se démarquant des conservateurs traditionnels. Il avait appelé à voter "non" au référendum de 1988, par lequel le général Pinochet avait tenté de se maintenir au pouvoir. Il a dénoncé les violations des droits de l'homme.

Toutefois, pendant la campagne, M. Piñera n'a pas exclu de faire entrer dans son gouvernement des fonctionnaires ayant travaillé pour la dictature militaire. "Le fait d'avoir travaillé pour un gouvernement sans avoir commis de crimes, ni de violations des droits de l'homme, n'est aucunement un péché", a-t-il dit. "Mais je veux avant tout convoquer une nouvelle génération de Chiliens", a-t-il ajouté.

Le modèle économique libéral n'a pas été remis en cause par aucun des deux candidats. M. Piñera a précisé que ses priorités seraient de "privilégier une économie de marché avec une certaine initiative privée, l'ouverture et l'intégration".

"Le discours de Piñera a consisté à convaincre qu'il pourrait faire plus efficacement quelque chose de relativement semblable à ce que faisait la Concertation", souligne l'analyste Jorge Navarrete. "La droite s'est légitimité démocratiquement, elle a retrouvé ses racines républicaines", juge le politologue Oscar Godoy qui décrit M. Piñera comme "plus libéral que conservateur".

RUPTURE AVEC LE BIPARTISME TRADITIONNEL

C'était la première élection présidentielle depuis la mort du général Pinochet en 2006. Les violations des droits de l'homme de son régime – 3 200 morts ou disparus– ont été invoquées par la coalition de centre-gauche. "C'est la fin de la supériorité morale de la Concertation, estime l'avocat Gabriel Villarroel. Jusqu'à présent, il suffisait qu'elle fasse appel à l'axe démocratie-dictature pour présenter ses adversaires comme moralement indignes de gouverner."

En dépit du soutien de la présidente Bachelet et de constitution d'une nouvelle équipe de campagne, plus jeune et dynamique, entre les deux tours, la défaite de M. Frei marque la fin de la transition démocratique, avec quatre gouvernements successifs de la Concertation, formée par la démocratie chrétienne, le Parti socialiste, le Parti radical social-démocrate (PRSD) et le Parti pour la démocratie (PPD, socialiste).

Cette élection présidentielle a rompu avec le bipartisme traditionnel. La principale surprise a été constitué par les 20 % de suffrages obtenus, au premier tour, le 13 décembre 2009, par le jeune dissident socialiste Marco Enriquez-Ominami. Après avoir durement critiqué la Concertation, le candidat rebelle avait annoncé, à la veille du second tour, qu'il voterait pour M. Frei, sans pour autant donner de consigne de vote à ses électeurs.

Certains analystes expliquent la défaite de M. Frei par son manque de charisme. La plupart soulignent les divisions et l'absence de relève générationnelle. Il n'y a pas eu de primaires pour choisir le candidat. "La Concertation n'a pas fait de propositions substantielles pour régler les grands problèmes, la précarité du travail, les bas salaires, les inégalités, la mauvaise qualité de l'éducation publique", souligne l'analyste Carlos Huneeus.

Christine Legrand