mercredi 14 janvier 2009

CONVERSATION AVEC GUILLERMO TEILLIER (PCCH) À MADRID

S’y trouvaient aussi des représentants du Parti communiste du Pérou, du Parti socialiste du Chili, du Parti communiste d’Espagne, Laura Gonzalez-Vera (veuve de Carmelo Soria) et le poète communiste Marcos Ana, qui accompagnait Teillier et Marcos Suzarte, membre de la commission des relations internationales du PCCH. Lors de son allocution Marcos Ana rendit hommage à la « dimension politique et humaine extraordinaires » de Teillier et aux relations fraternelles unissant depuis des décennies le PCE et le parti communiste chilien. Quelques heures avant le début de la rencontre, nous avons eu l’occasion de converser avec Guillermo Teillier au siège fédéral du Parti communiste d’Espagne où il rencontra Cayo Lara, coordinateur général de l’IC, cadre du PCE et Francisco Frutos, le secrétaire général du PCE.

Quelle est votre analyse du résultat des élections municipales?


J’ai l’impression qu’il y a un maintien des niches électorales ; d’une part, la droite conserve sa votation et la Concertation [2] qui reste la majorité au pays, a baissé, moins à cause de la droite que par l’apparition du PRI [3] qui a obtenu 7% des votes. Le PRI est un amalgame de choses très distinctes, il n’y a pas de cohésion. Je crois que la position du PRI va varier en fonction de qui sera le candidat de la Concertation aux présidentielles 2009. La droite essaie de l’attirer ; si Frei devenait le candidat officiel, Adolfo Zaldivar [4] pourrait aboutir à un pacte avec lui en échange de l’élection de quelques parlementaires.

D’autre part, la Concertation a réussi le maintien de sa votation via la présentation de deux listes, avec une seule liste, cette coalition était perdante. Elle a perdu plusieurs mairies moins par l’ascension de la droite que par ses propres divisions internes. C’est la raison de la perte de mairies emblématiques, ne pas livrer la lutte contre la droite ; si nous avions élargi le pacte par omission aux communes d’Estacion Central, Valparaiso et Recoleta, la droite n’aurait pas pu se vanter autant lors de l’élection des maires comme elle l’a faite parce qu’elle n’aurait pas pu vaincre dans les trois communes citées. Ceci, la peur d’élargir cet accord avec les communistes et ses conséquences (la perte de quelques communes) a entraîné, avec d’autres facteurs, la démission de Soledad Alvear [5].

Toujours dans les communes concernées, la Concertation a présenté des candidats très usés par la lutte électorale tandis que la droite a présenté de nouveaux candidats, raison par laquelle « la gente » a voté à droite. La population a ainsi châtié la Concertation à cause de la corruption, mais pas la droite comme l’a montré le cas de Viña del Mar [6]. Il faut aussi relever que l’une des filles de Pinochet fut élue conseillère municipale haut la main dans la commune de Vitacura, en raison d’une campagne anticommuniste intense rendant hommage à son père ; ce secteur dur de la droite empêche le secteur le plus ouvert de voter les réformes politiques qui s’imposent au Chili. Et Piñera [7] a les mains liées.

Quant au résultat de la gauche aux votations municipales, le nombre de nos conseillers a baissé en tant que Juntos Podemos Más [8], mais en tant que Parti communiste, le nombre de nos conseillers est plus élevé. C’est une nouvelle significative étant donné que la plupart d’entre eux furent élus dans les principales villes du pays : comme à Santiago (pour la première fois après 1973) - à La Florida, à Maipu - ou à Valparaiso. L’élection de conseillers fut fort bonne. Nous avons gardé trois des quatre mairies, car nous avons perdu Canela à cause de l’alliance d’un secteur du PPD [9] avec la droite ; c’est triste car le maire sortant, Nathan Trigo, fut un excellent maire et qu’il a perdu l’élection par une différence minime. Nous avons aussi gagné quatre autres mairies en tant que Juntos Podemos Mas, comme à Yumbel ou à Lota avec l’alliance décisive avec le MAS d’Alejandro Navarro [10] et d’autres, comme Pedro Aguirre Cerda dont le maire élu est notre compañera Claudina Nunez, avec l’appui de la Concertation.

Il semble que nous sommes devant la fin du système des partis mis en lumière par le plébiscite de 1988 [11], par la décomposition de la Concertation et par le rapprochement des secteurs socialistes vers la gauche, avec en tête Jorge Arrate et Alejandro Navarro…

Nous avons gardé une votation considérable lors des élections municipales et nous prétendons maintenant arriver à une convergence de l’ensemble de la gauche, incluant des forces au-delà du Juntos Podemos Mas. J’entreprendrais des conversations avec Tomas Hirsch pour savoir s’ils sont disposés, comme nous, à accueillir ces forces-là issues des rangs du socialisme.

Il y a un secteur très important de la Concertation qui ne veut plus du statu quo ; ce secteur-là soutient un programme des réformes profondes, pas un simple maquillage, un programme qui puisse être voté au Parlement. Il est nécessaire donc de conclure à un pacte par omission lors des élections parlementaires en décembre 2009, pour créer une nouvelle corrélation des forces au sein du Parlement, rompre avec le statu quo engendré par le régime autoritaire imposé par la dictature. Il faut amener au Parlement une majorité politique propre à démocratiser le Chili.

La gauche au Chili devient de plus en plus forte, ce qui permet à d’autres secteurs de la Concertation d’envisager un programme différent. C’est ainsi que l’on peut éviter une droitisation du pays, la droite au gouvernement en 2010, la fin des réformes politiques et économiques, le statu quo du thème des droits humains, la persistance d’un code de travail issu de la dictature ou la privatisation des seules entreprises publiques qui restent à ce jour, telle que CODELCO [12].

Le Parti communiste a mis en avant votre candidature présidentielle dans la meilleure des traditions de sa propre histoire presque centenaire : l’union de la gauche et du peuple autour d’un programme politique visant à transformer la réalité chilienne.

Comment la gauche va définir son candidat présidentiel? Dans quels délais ?

Au Parti communiste, nous ne sommes pas attachés à aucun mécanisme d’élection dudit candidat ni ne refusons aucun à priori. Les compañeros de Nueva Izquierda, par exemple, ils parient sur des primaires ouvertes où tout le monde pourrait voter, les non-inscrits et les Chiliens de l’extérieur. Nous devons nous mettre d’accord sur le mécanisme soit des primaires ouvertes soit d’une convention avec la participation des organisations sociales, en tout cas un mécanisme démocratique et transparent. Dans le cas des primaires, ils pourraient avoir lieu vers la fin mars ou avril.

Le comité central lors de sa plénière des 17 et 18 décembre va étudier notre proposition : l’élaboration d’un programme et l’élection d’un candidat et surtout comment faire face aux élections parlementaires pour finir avec l’exclusion. D’abord nous devons éclaircir trois points essentiels avec les trois autres candidatures présidentielles : en premier lieu, il doit y avoir un programme unique, résoudre la question de la continuité dans la construction d’une alternative sociale et politique au néolibéralisme. En second lieu, tous les candidats donneront leur appui au candidat finalement élu d’après la méthode adoptée en priorité. En troisième lieu, cette alternative doit avoir un autre objectif, celui de mettre fin à l’exclusion de la gauche au Congrès National ; ceci implique d’être au clair quant au fait que nous n’aurons pas des parlementaires élus en 2009 si nous avons notre propre liste de candidats au sein de l’alternative. Il est fort possible que la droite réussisse lors des prochaines élections présidentielles ; si c’est ainsi, il vaut mieux qu’elle se retrouve avec une alternative de gauche constituée avec des représentants au Parlement.

Je crois que notre position lors d’un hypothétique deuxième tour aux prochaines élections présidentielles du janvier 2010, va dépendre de la fin de l’exclusion. Il y a, aujourd’hui, des conditions pour avancer main dans la main avec les luttes sociales et les formes de la lutte électorale pour créer une nouvelle corrélation des forces dans le pays ; pour aspirer à un gouvernement national, démocratique et de justice sociale qui dépasse le néolibéralisme. Un gouvernement élu pour entreprendre des réformes politiques, pour récupérer les ressources de base du peuple chilien, pour reconnaître les droits des peuples originaires, pour respecter enfin les droits des travailleurs, pour garantir la vérité et la justice, la fin de l’impunité. Ces défis sont impossibles à relever au sein d’un cinquième gouvernement de la Concertation, seul un grand rassemblement de gauche peut les affronter.

Depuis l’élection de Frei [13] en 1994, aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue au premier tour ; l’appui de l’électorat communiste a été décisif pour les victoires de Lagos [14] et de Bachelet [15] et la défaite de la droite, dans les années 2000 et 2006 respectivement.

À  ce jour, la votation décisive a été celle du Parti communiste; je crois que, face à la configuration qui se dessine pour décembre 2009, la votation d’une large convergence de la gauche sera encore plus décisive, puisque je suis convaincu qu’elle va dépasser les votations obtenues lors des dernières élections présidentielles.

Dans votre discours de juin 2007 au théâtre Caupolican, lors du 95° anniversaire de la fondation du Parti Communiste, vous avez reconnu le virage de la politique du Parti. Pourquoi un changement si relevant s’est-il produit dans la ligne politique du PCCH ? Y a-t-il eu une meilleure ouverture au sein de la Concertation face au parti, à ce qu’il représente, à ces propositions sur les changements dont le pays a besoin ?

L’élément principal a été celui de l’effort à faire pour établir une ligne d’action sur deux points essentiels. En premier lieu, c’est la lutte sociale des masses, tendre à l’unité des travailleurs ; comme celle de la mobilisation des travailleurs des mines de cuivre dont les contrats précaires sont établis par des entreprises intermédiaires ; avec nos compañeros à la tête, ils obligèrent les véritables propriétaires à s’asseoir autour d’une table de négociations. D’autres exemples sont les luttes des ouvriers du saumon et des forestières.

Et comme second point, il y a notre décision à disputer la centralité politique, ce que nous avons réussi puisque nous avons tenu des conversations avec tout le monde ; chercher des convergences pour des objectifs spécifiques, comme la récupération des droits des travailleurs ou la réforme profonde de la loi électorale. Nous avons forcé la Concertation à se prononcer sur sa volonté de changer le système électoral et notre accord sur le pacte par omission lors des municipales fut surtout un signal au pays, ensemble nous avons coïncidé quant à la nécessité de concrétiser des réformes politiques afin de mettre un terme à l’exclusion politique de la gauche au Chili.

Le virage a donné ses fruits, le Parti communiste est aujourd’hui plus fort, plus visible. Il est en relation avec les luttes des travailleurs, des étudiants, des secteurs de la classe moyenne en train de se mobiliser (nous avons des dirigeants nationaux dans les petites et moyennes entreprises, dans le Collège des Médecins pour la première fois depuis 1973). Aussi nous constatons le retour des compañeros qui avaient quitté les rangs du parti.

Pourquoi donner autant d’importance à la fin de l’exclusion de la gauche au Chili ?

Le Parti communiste coïncide seulement avec la Concertation sur la nécessité de finir avec l’exclusion politique au Chili. Nous préférons maintenir notre indépendance, mais nous pensons que nous pouvons converger avec la Concertation et d’autres forces pour mettre fin à l’exclusion des travailleurs du Congrès National. Pourquoi il est si important pour nous d’avoir des parlementaires ? En premier lieu pour amener au Parlement (les exigences*) de la lutte sociale. En plus, au Chili, aucune loi ne peut-être approuvée sans l’appui de la droite, élection après élection, l’égalité politique entre la Concertation et la droite est de mise.

Au deuxième tour des dernières élections présidentielles (mars 2006) nous avons soutenu Michelle Bachelet en échange de cinq points, l’un de ceux-ci la modification de la loi électorale. Nous savions qu’il était très difficile de mener ce point-là en avant avec l’actuelle corrélation des forces ; nous avons prétendu mettre ces idées en bogue ; nous avons réussi à nous rallier la Centrale Unitaire des Travailleurs (CUT) qui appela à la convergence des forces sociales et politiques pour mettre fin à l’exclusion, premier pas pour la démocratisation du pays. Nous voulons terminer avec l’exclusion, changer la corrélation des forces au Parlement…aller de l’avant.

LA CRISE DU CAPITALISME

Cette dernière année le capitalisme, dans sa phase actuelle de globalisation néolibérale, s’effondre. Des milliers des travailleurs de par le monde souffrent les conséquences d’une crise du système seulement comparable à celle de 1929. Vingt ans après la proclamation du «fin de l’Histoire» par Fukuyama, le modèle néolibéral perd de sa crédibilité. Est-ce ainsi au Chili, où il y a si peu les critiques au néolibéralisme étaient ridiculisées ?

Au Chili nous avons une blague selon laquelle il fallait organiser des votations pour élire le ministre des Finances et par la suite celui-ci désignait à doigt le président de la République… Quand la crise a commencé à être visible la présidente et le ministre des Finances ont assuré que le Chili était blindé contre la crise, que le budget national ne serait pas affecté ni la politique sociale ni le pouvoir d’achat des travailleurs.

La présidente a aussi réuni les présidents des partis pour nous expliquer ce que le gouvernement aller faire face à la crise. Nous étions présents et les seuls à demander que les effets de la crise ne retombent pas sur les travailleurs ; nous avons proposé au gouvernement de lancer la construction d’hôpitaux, d’écoles, d’œuvres de transport, d’habitations… encourager la création des places de travail, puisque nous sommes au début d’un chômage considérable. Nous avons aussi évoqué le thème du cuivre dont la chute du prix international serait vertigineuse, comme cela fut le cas ; nous avons exprimé notre stupéfaction car le gouvernement n’a rien fait pour récupérer les 27.000 millions de dollars déclarés en perte par les entreprises transnationales gérant les pensions des Chiliens, par l’intermédiaire des AFP [16]. Le gouvernement n’intervient pas dans les affaires d’une AFP.
La crise s’est déjà installée au Chili par l’augmentation du chômage, la réduction du pouvoir d’achat, les répercussions sérieuses chez les petites et moyennes entreprises, la notable cherté du crédit, la perte des places de travail dans la construction…

Néanmoins, la politique économique du gouvernement persiste dans l’orthodoxie néolibérale…

Il y a une critique négative de la Présidente de la République quant à la spéculation, le manque de contrôle et de régulation, sans pour autant adopter les mesures de caractère stratégique que nous leur avons proposé. C’est pour cela qu’une alternative de gauche est si nécessaire maintenant, celle que nous avons l’opportunité de construire pour récupérer la souveraineté économique du pays, mettre fin à l’exclusion et entreprendre les réformes démocratiques en suspens.

Les travailleurs du secteur public viennent d’obtenir un triomphe notable suite à leur grève…

Le gouvernement a démarré en offrant une hausse salariale de 4,8% pour en arriver à 9,5% et finalement, suite à l’énorme mobilisation de 450.000 travailleurs, cède et accepte les 10% exigé par l’ANEF [17]. Les grandes mobilisations dans tout le pays l’ont presque paralysé. Ce fut une grande victoire pour ces travailleurs-là.

LE SOCIALISME DU XXI SIECLE

Vous venez d’assister au XVIII congrès du Parti Communiste Portugais (PCP) à Lisbonne. Il est sans doute celui qui, parmi les quatre principaux partis de l’Europe occidentale (l’Italie, la France, l’Espagne et le Portugal), conserve le plus d’influence sociale et politique dans son pays. Qu’est-ce qui a le plus attiré votre attention dans les débats du Congrès ?

La politique du Parti communiste Portugais ressemble assez à la nôtre, toute proportion gardée. Il reste un parti marxiste-léniniste et préconise le socialisme, surtout maintenant comme la seule possibilité pour l’humanité de résoudre ses énormes problèmes et injustices. Sur le chemin conduisant à ce but, ils luttent pour une démocratie avancée, comme nous. Ils ont réussi à maintenir le parti très actif, ils ont pris des mesures originales pour favoriser sa croissance. Nombre d’interventions de camarades des cellules et des fabriques au congrès expliquaient comment ils avaient affronté les problèmes et comment ils avaient gagné en organisation et en militants pour le PCP. C’est un parti de cadres et de masses qui donne beaucoup d’importance à la formation politique. Nombre de choses sont un enseignement précieux pour nous. Nous avons conclu avec son secrétaire général Jeronimo de Sousa, d’échanger des expériences et de serrer des liens entre nos deux partis.

L’Amérique latine vit une nouvelle ère après les dictatures militaires de la période 1960-1980 et de la décennie néolibérale des années 90. Quels sont les facteurs d’après vous, qui déterminent que la plupart des pays de l’Amérique latine ont des gouvernements qui se proposent avec plus ou moins d’intensité de dépasser le néolibéralisme et même de construire le socialisme du XXI siècle ?

Ce phénomène correspond à quelque chose qui existait déjà au temps d’Allende, qui germait à l’époque jusqu’à son écrasement : le peuple à travers sa mobilisation, ses luttes sociales, son unité réussissent à s’emparer du gouvernement pour entamer les transformations qui s’imposent aujourd’hui au Venezuela, en Equateur ou en Bolivie. La construction du socialisme du XXI siècle est à l’ordre du jour au Venezuela, la Bolivie est gouvernée par un mouvement du peuple originaire et l’Equateur vient de se doter d’une Constitution d’avant-garde. Il faut rajouter à ces pays, le Paraguay, le Nicaragua, il y a des grandes possibilités au Salvador et aussi, d’une certaine manière, au Brésil, en Argentine, en Uruguay. Tous ces pays participent à la recherche de l’indépendance face aux Etats-Unis, ils ont réussi déjà à faire échouer l’Accord de libre commerce des Amériques (ALCA). La création de UNASUR a été aussi très importante ; lors de leur réunion au Chili, l’ensemble de ces pays donna son appui au gouvernement d’Evo Morales [18], prit la défense de l’intégrité territoriale de la Bolivie et refusa l’intervention nord-américaine.

Nous vivons une nouvelle ère en Amérique Latine, auparavant les gouvernements étaient seuls face à l’agression des Etats-Unis ; Allende était isolé. Il s’agit des gouvernements démocratiques, personne ne peut l’infirmer. Ce qui se passe en Amérique latine est très prometteur car elle peut devenir un nouveau pôle dans la corrélation des forces internationales.

Le Chili peut, en 2009, s’ajouter à cette vague de changement et d’espoir ou si les gagnants sont Frei, Lagos, Insulza (ne disons plus Piñera), persister dans un modèle de société usé…

C’est ainsi. Les candidats de la Concertation, deux d’entre eux ex-présidents de la République, développèrent le néolibéralisme dans sa plus haute expression. Il n’y a rien à attendre de leur part.

UN DEMI-SIECLE DE MILITANCE COMMUNISTE

Pourquoi avez-vous intégré le Parti communiste ?

J’ai intégré la Jota [19] vers 1957, lorsque le Parti était encore dans la clandestinité à cause de la Ley Maldita [20]. J’étudiais au lycée à Temuco, la poésie de Neruda fut d’une influence décisive ; il y avait là-bas des cercles nérudiens, tôt je lus le Chant Général. Le discours d’Allende m’a aussi influencé ; la nationalisation du cuivre, de la terre alors une réalité terrible au Chili… J’étais dirigeant de la Jota (les jeunesses communistes) en tant qu’étudiant, ensuite j’ai déménagé à Valdivia où je suis devenu secrétaire politique du parti jusqu’au Coup d’état en 1973 ainsi que candidat aux parlementaires de mars de la même année.

Comment avez-vous vécu les jours du gouvernement de l’UP [21] ?
De façon très intense, en tant que dirigeant du parti, j’avais une relation accrue avec le gouvernement provincial de Valdivia. La lutte politique n’avait pas de repos ; nous devions contrecarrer la campagne de déstabilisation menée par la droite ; nous parcourions les champs touchés par la Réforme agraire [22], quelques entreprises furent expropriées dans cette zone… J’étais présent dans beaucoup d’endroit, organisant le parti et les travailleurs. Par malheur on ne nous a pas parlé de défendre le gouvernement de l’Unité Populaire, ce fut notre grand vide.

Vous êtes resté au Chili pendant toute la durée de la dictature, vous avez été arrêté, torturé et vous avez contribué à la réorganisation du parti au moment le plus difficile de son histoire…

Après le Coup d’état, j’ai réussi à fuir à Concepcion [23] et quelque temps après j’ai pu me connecter avec la direction du parti. Ils m’emmenèrent à Santiago, puis en 1974 les agents du Service d’Intelligence des forces de l’Air m’arrêtèrent et me conduisirent dans le sous-sol de l’Académie de Guerre de l’Air où je suis resté pendant six mois avec les yeux bandés tout en étant torturé. Par la suite je suis resté dans différents camps de concentration (Tres Alamos, Ritoque et Puchuncavi).

Lorsque je suis sorti, ils m’ont offert de partir à l’extérieur, mais j’ai décidé de rester au Chili. Au début de 1977, suite à l’arrestation successive de deux directions complètes du Parti dans les mains de la DINA [24], ils m’ont contacté parce que personne ne voulait prendre la tête du parti à l’intérieur ; ils nous proposèrent, à trois compañeros, de réorganiser le parti et de créer les conditions de sécurité nécessaires au retour des compañeros de l’extérieur. J’ai accompli cette fonction en réarticulant le Parti communiste, récréant les normes du travail clandestin plus sûres; c’est ainsi que les compañeros et les compañeras ont pu retourner, telle que Gladys Marin qui, alors, dirigea le Parti depuis l’intérieur du Chili. Je suis resté dans l’équipe de la direction de l’intérieur puis, de 1980 à 1987, j’étais le responsable militaire du parti. La politique de la Rébellion Populaire des masses du parti, qui prévoyait alors toutes les formes de lutte contre la dictature, est à l’origine de la naissance du Front patriotique Manuel Rodriguez.

Votre élection en tant que secrétaire général du parti en 2002, lors de l’élection de Gladys en tant que présidente, fut une surprise pour beaucoup, vous n’étiez pas l’un des dirigeants les plus connus… Une fois décédée cette chère compañera, vous êtes élu à la plus haute autorité du parti. Comment assumez-vous le fait de diriger un parti qui appartient à l’Histoire du Chili, avec des combattants remarquables dans ses rangs, des noms figurant dans la mémoire du peuple tels Elias Laferte, Ricardo Fonseca, Galo Gonzalez, Americo Zorrilla… ?
C’est une grande responsabilité que de diriger le Parti en remplacement de Gladys, une compañera si appréciée. Beaucoup pariaient sur la fin du Parti Communiste sans Gladys. Mais celui-ci est un parti qui a une empreinte, qui analyse la réalité chilienne et cherche des formules politiques pour avancer dans la défense des travailleurs, loyal au legs de Recabarren. Je suis conscient du poids que je porte et d’avoir ressenti tant d’incertitudes…je crois que j’ai assumé des tâches plus difficiles : diriger le parti en 1977, être son chargé militaire ou celui des finances quand le parti n’avait pas de finances…

C’est remarquable la capacité du Parti à former des cadres notables tel Cristian Cuevas maintenant, le dirigeant de la grande bataille livré par les travailleurs sous contrats provisoires dans les minières du cuivre… ou le grand résultat de Claudia Pascal la seconde conseillère la plus votée à Santiago…

Ce n’est pas un hasard, c’est le fruit de notre insertion dans les masses comme nous l’ont appris Recabarren, Corvalan, Gladys… personne ne naît communiste, il faut du courage pour dire à quelqu’un d’intégrer le Parti communiste. L’élection municipale nous a donné beaucoup de cadres intermédiaires. Et nous avons une Jota très grande.


  • (NOTES) Information complémentaire extraite en partie de Wikipédia.
  • Notes
  • [1] Deux cent ans de la proclamation d’indépendance du Chili
  • [2] La Concertation : la coalition des partis au gouvernement d’inspiration sociale -démocrate dont le Parti socialiste (PS), la démocratie chrétienne (DC) et le Parti pour la démocratie (PPD) dont l’un des fondateurs est l’ex-président Lagos.
  • [3] PRI :Le Parti régional des indépendants, créé en juillet 2006 par la fusion de l’Alliance nationale des indépendants (ANI) et du Parti d’action régionale du Chili (PAR). En 2007, la tendance «colorines» (rouquins) sortant de la DC investit le PRI, s’installe à la présidence avec Jaime MULET.
  • [4] Adolfo ZALDIVAR : président de la Démocratie Chrétienne (DC) par deux périodes consécutives (2002 – 2006), tendance des «rouquins» expulsé en 2007 de son parti, sénateur de la République depuis 1993, actuel président du Sénat pour la période 2008-2009.
  • [5] Soledad ALVEAR : sénateur de la République depuis 2005, ministre des gouvernements successifs de la Concertation, préside la DC depuis 2006 puis, démissionne en 2008.
  • [6] Le cas de Vina DEL Mar :une autre affaire de corruption impliquant des membres de l’UDI (Union démocratique indépendante) dans la mairie de Vina DEL Mar. L’UDI est un parti conservateur, membre de l’Alliance pour le Chili comme Rénovation nationale. Présidé depuis juillet 2008 par le sénateur Juan Antonio Coloma, qui a succédé à Hernan Lavin, président du Sénat dès 2004 à 2005.
  • [7] Sebastian PINERA : économiste, millionnaire (il introduit les cartes de crédit au Chili), candidat présidentiel du Parti de centre – droite Rénovation National (RN) en 2005 arrive second derrière Michelle Bachelet. Il a été condamné en 2006 pour délit d’initié dans l’achat d’actions de la compagnie aérienne LAN - Chile.
  • [8] JUNTOS PODEMOS MAS : coalition de gauche réunissant le Parti communiste du Chili, le parti Humaniste et le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) ainsi que la gauche chrétienne et quelques diverses organisations sociales. Cette coalition s’oppose tout autant à l’Alliance pour le Chili, tendance du centre -droite comme à la Concertation des partis pour la démocratie de tendance centre – gauche. Elle est contre la guerre et la violence, pour la défense des droits sociaux fondamentaux.
  • [9] PPD : le parti pour la Démocratie fondée en 1987 par Ricardo LAGOS, président du Chili dans la période 2000-2006 ; d’orientation social-libérale est membre de l’Internationale socialiste.
  • [10] Alejandro NAVARRO : député socialiste pendant la période 1994- , sénateur pour la période 2006 - 2014, démissionne du parti en 2008 pour créer le Mouvement ample social (MAS) et s’autoproclame candidat aux présidentielles 2009.
  • [11] Plébiscite de 1988 : référendum chilien sous la dictature d’après les dispositions de la Constitution politique chilienne de 1980, pour définir si « OUI » ou « NON » Augusto PINOCHET pouvait continuer jusqu’en 1997 ; le « NON » a obtenu 55,99% contre 44, 01%. La période de transition à la démocratie est ouverte avec l’organisation d’élections présidentielles et parlementaires l’année suivante.
  • [12] CODELCO : Corporation nationale du cuivre du Chili, l’entreprise minière de l’état du Chili, chargé d’exploiter ces ressources depuis juillet 1971, succède à la Corporation du cuivre né en 1967.
  • [13] Eduardo FREI RUIZ-TAGLE 1994 : milite au Parti démocrate chrétien, fils de l’ancien Président de la république Eduardo FREI MONTALVA (1964-1970) ; candidat de la Concertation aux élections présidentielles 1993, il est élu au premier tour pour la période 1994-2000 ; il préside le Sénat de 2006 à 2008.
  • [14] Ricardo LAGOS, 2002 : fondateur du PPD, président du Chili pour la période 2000-2006.
  • [15] Michelle BACHELET, 2006 : socialiste, ministre de la santé puis ministre de la défense sous le gouvernement de Lagos, elle est candidate de la Concertation aux présidentielles 2005. Elle est la première femme élue présidente de la République pour la période 2006-2010.
  • [16] AFP : Fonds de pensions d’après le modèle chilien. Il est créé en 1981 dans le cadre des mesures de libéralisation économiques promues sous la dictature ; les cotisations de chaque travailleur gérées par l’entreprise privée de son choix, l’AFP, constituent avec les intérêts perçus son seul capital à la retraite. L’état reste garant quant aux défaillances de l’AFP et garantit une pension minimale aux travailleurs ayant cotisé pendant vingt ans n’ayant pas réussi à constituer un capital suffisant.(Cfictionnaire suisse de politique sociale)
  • [17] ANEF : Regroupement national des employés fiscaux, fondé par Clotario BLEST en 1943
  • [18] Evo MORALES : le Président actuel de la Bolivie.
  • [19] Jota : les Jeunesses communistes du Parti communiste du Chili.
  • [20] Ley maldita : loi « maudite » approuvée sous le gouvernement de Gabriel GONZALEZ VIDELA déclarant le parti communiste illicite. VIDELA fut pourtant élu avec l’appui des communistes, des socialistes et des radicaux ; les communistes seront persécutés, chassés des postes publiques et relégués à des zones lointaines depuis 1948 jusqu’en 1958 ; Pisagua le premier camp de concentration de l’Histoire du Chili, dirigé par Augusto Pinochet, est ouvert à l’intention des communistes.
  • [21] UP : l’Unité populaire, la coalition des partis de la gauche chilienne qui mène Salvador Allende au pouvoir dès 1970 à 1973
  • [22] La Réforme Agraire : mesures de l’état approfondies sous le gouvernement d’Allende visant à redistribuer la terre, à notamment abolir les « latifundios », les grandes propriétés agricoles.
  • [23] Concepcion : ville du centre - sud du pays, deuxième ville en termes économiques et de population.
  • [24] DINA : la Direction nationale d’intelligence, la police politique chilienne, débute en 1973 suite au Coup d’état. Créée officiellement en 1974 par le régime militaire d’Augusto Pinochet, la DINA est responsable de la persécution, de la détention sécrète et de la disparition des milliers de chiliens. Cet organe de répression de la dictature est remplacé en 1977 par la CNI, la Centrale national d’intelligence.